Une vision unifiée de l’identité de la ville
Agence urbaine de Tanger
L’agence urbaine de Tanger se dote d’outils ambitieux sous la forme de plans d’aménagement, de trois chartes architecturales et paysagères, d’un plan vert. Le défi est de valoriser dans une vision globale et unifiée les différentes vocations de la ville Tanger comme de ses territoires. La ville portuaire, la ville industrielle, la ville des zones franches ne sont pas les seules vocations de la métropole. Elle doit aussi ressusciter la ville touristique à l’aura internationale, réhabiliter l’art de vivre de la médina et du centre historique comme intégrer les populations rurales des zones limitrophes.
AM : Quels sont les grands axes de la mission de l’Agence urbaine de Tanger (Plan d’aménagement, restructuration, transport urbain, réhabilitation) ?
Abdellatif Brini
Tout d’abord, grâce à sa situation privilégiée au confluent des principales voies maritimes, aériennes et terrestres, à la qualité des infrastructures existantes ou en cours de réalisation, et à la dynamique de croissance démographique et d’intensification de l’activité économique, la ville de Tanger dispose de réels atouts pour amorcer une nouvelle impulsion au développement socio-économique intégré de son espace régional et constituer une plateforme pour les échanges aux échelles nationale et internationale.
En effet, deux considérations principales ont eu un impact prononcé sur l’évolution de la dynamique urbaine de la ville : d’abord sa localisation comme point de liaison avec l’Europe, lui conférant une sorte de dépendance aux conjonctures internationales, puis le pôle d’influence qu’elle représente aux échelles nationale, régionale et provinciale qui lui a valu une croissance élevée de sa population. Celle-ci a entraîné spatialement des extensions urbaines dépassant la capacité des pouvoirs publics à établir, au préalable, la planification et le contrôle adéquats.
La ville se voit dans l’obligation de répondre aux attentes aussi bien des investisseurs qui recherchent une implantation spatiale satisfaisante pour leurs projets, qu’à celles de la population locale qui désire une amélioration de son cadre de vie et une réhabilitation de son espace territorial. Le tout devant être cohérent avec les projets et aménagements en cours.
Dans ce cadre, une initiative visant à actualiser le plan d’aménagement unifié de la ville de Tanger a été prise afin d’accompagner cette forte croissance et d’aboutir à des orientations stratégiques permettant de réaliser un développement équilibré et durable de l’entité territoriale et de renforcer la notion de gestion unifiée de la ville.
C’est un document qui va répondre aux grandes questions restées en suspens depuis longtemps sur l’avenir de la ville, pas seulement en tant que pôle régional, mais en tant que métropole suprarégionale car le rayon d’attraction de Tanger dépasse les limites régionales.
Un deuxième document, d’une importance capitale, est celui de la bande littorale méditerranéenne allant de Tanger jusqu’au Port Tanger Med.
C’est un document qui va encadrer un territoire en pleine mutation sociale et spatiale et fournir un outil juridique pour la gestion urbaine.
L’Agence Urbaine a lancé trois chartes architecturales et paysagères :
• La charte de la province de Fahs Anjra qui dispose d’un patrimoine bâti et paysager fortement identitaire et d’espaces naturels de grande qualité, qui constituent un élément essentiel de qualité du cadre de vie et de l’attractivité de son territoire. Toutefois, face à la fragilité de certains des équilibres hérités et à la rapidité des changements opérés, notamment avec la réalisation du complexe portuaire Tanger Méditerranée et ses infrastructures d’accompagnement, ainsi que la création de zones d’urbanisation nouvelles et de zones industrielles d’envergure, la maîtrise de l’évolution qualitative des paysages et de l’architecture constitue un enjeu majeur. Parallèlement à cela, des actions de mise à niveau sont prévues, ainsi qu’une requalification des centres ruraux situés sur les grands axes, menée par les Provinces. A titre d’exemple le projet de Ksar El Majaz, de Hakkama, Khmis Anjra, Tahramt, zones magnifiques à préserver de toute évolution anarchique en maîtrisant leur urbanisme.
• La charte de Tanger :
A la différence d’autres villes marocaines, la ville de Tanger dispose d’un patrimoine architectural riche et pluriel. Si les villes marocaines ont un cachet architectural marocain et français ou marocain et espagnol, Tanger est une ville unique, comportant une mosaïque des différentes écoles architecturales, espagnoles, anglaises, portugaises, italiennes, allemandes.
Cette caractéristique était une raison majeure pour doter cette agglomération d’une charte architecturale et paysagère. L’objectif est de lister, répertorier et établir des levés de chaque bâtiment distingué par son aspect architectural ou historique.
La ville de Tanger dispose du théâtre Cervantès, Dar Salaf (construit en 1910), du café Hafa, des Grottes d’Hercule…
• La charte d’Assilah :
La ville d’Assilah est une ville de culture par excellence à travers son festival international, ses équipements culturels de grande qualité et de son cachet architectural.
C’est la première ville qui s’est vue doter d’un Plan d’Aménagement et de sauvegarde de la médina homologué.
Elle dispose encore d’un Plan d’Aménagement de la Ville et d’une charte architecturale (tous homologués).
L’aspect architectural a imposé l’élaboration de la charte.
Ces chartes ont pour objectif essentiel la mise en place d’un cadre référentiel permettant la prise en considération :
• des composantes naturelles, écologiques et environnementales ;
• des composantes architecturales qui caractérisent les tissus anciens des espaces étudiés ;
• des spécificités urbaines et architecturales porteuses de l’identité architecturale des espaces étudiés.
Elles serviront encore de cadre référentiel pour les institutions et les professionnels pour toutes les constructions nouvelles, la restauration des bâtiments anciens présentant une valeur architecturale et historique, ainsi que pour les aménagements paysagers, dans le respect de la qualité du patrimoine architectural et paysager existant.
Le quatrième document est le plan vert de la ville de Tanger, lancé pour lister, répertorier les espaces verts aménagés et proposer des scénarios d’aménagement et identifier les assiettes foncières, si elles sont propriétés des communes ou de particuliers, ce qui sera mentionné dans le plan d’aménagement, qui intégrera les chartes pour qu’elles soient opposables. C’est donc une chance que la charte soit réalisée avant le plan d’aménagement car cela permettra d’intégrer les recommandations de la charte.
AM : Quels sont les projets prioritaires (extension ou réhabilitation ?)
A.B.
Les projets prioritaires sont les schémas de structure pour les quartiers sous-équipés, au même titre que l’intérêt accordé à la zone littorale méditerranéenne.
Le lancement du SDAU (Schéma directeur d’aménagement urbain) tient comptedes espaces urbains qui constituent un champ d’attraction pour les populations rurales installées dans les zones limitrophes. La ville de Tanger a cette particularité d’être entourée de zones rurales qui constituent des lieux de déploiement d’importants programmes d’investissement et d’équipements structurants (autoroute, voie ferrée, zones franches, zones industrielles, zones touristiques…).
Ce qui prédestine ces zones à devenir un véritable bassin d’emploi à l’échelle régionale et même suprarégionale. Cet état de fait nécessite, dès à présent, une mise à jour des approches conventionnelles d’aménagement et d’organisation du territoire, notamment en matière de fonctionnalité et de mixité spatiales.
Dans ce contexte, la question cruciale qui se pose aux planificateurs se focalise plutôt sur le choix approprié de nouveaux rôles (fonctionnalité) que devrait assumer tel ou tel territoire (urbain/périurbain/rural), dans le cadre d’une vision globale qui encourage la complémentarité et la solidarité entre les différentes entités spatiales de ce qu’on aimerait désormais appeler : le Grand Tanger.
Un complexe portuaire, avec ses équipements annexes, a besoin pour l’optimisation de ses activités, d’une base arrière urbaine qui lui sert de plateforme off shore.
De ce fait, le devenir de la ville de Tanger va obligatoirement dépendre du développement du secteur de l’offshoring, en plus de la confirmation des vocations déjà connues de ville touristique et industrielle. Là encore, le choix d’un dosage optimal des différentes vocations reste à déterminer.
L’élaboration du Schéma Directeur d’Aménagement Urbain du Grand Tanger établira un diagnostic exhaustif, réunissant l’ensemble des données susceptibles de fournir une réelle base d’informations et d’indicateurs permettant d’asseoir une stratégie d’aménagement global et intégré de cette partie du territoire national, qui s’inscrit en cohérence avec le développement général de la région de Tanger-Tétouan.
Ces études doivent être menées dans un esprit de concertation, où la mise en relation des différents intervenants (institutionnels, opérateurs privés, organisations de la société civile, population…) et l’arbitrage entre les différents secteurs d’activité (industrie, tourisme, agriculture…), doivent primer sur toute autre considération.
L’élaboration du SDAU du Grand Tanger devra s’effectuer dans le respect des conditions contextuelles. Ce document aura comme objectifs spécifiques, entre autres :
• Asseoir les éléments d’une stratégie de mise à niveau des potentialités d’expansion socio-économique, permettant un développement équilibré entre les différentes composantes du Nord.
• Disposer d’un cadre incitatif et promotionnel de l’investissement étatique et privé.
• Étudier les grandes tendances qui peuvent compromettre le développement durable de la zone et déterminer les mesures à prendre à court, à moyen et à long terme pour corriger les tendances néfastes.
• Identifier et recenser les contraintes qui grèvent le développement économique et social de l’aire d’étude, ainsi que les besoins à court, moyen et long terme, dans une optique considérant la qualité de l’environnement comme un facteur déterminant dans la conception des options fondamentales d’aménagement et des projections spatiales qui en découleront.
• Hiérarchiser les différents centres de l’aire d’étude dans le cadre d’un processus d’échange et de complémentarité, entre eux d’une part et avec leur environnement (immédiat et médiat) d’autre part.
Nous comptons donc lancer un schéma directeur d’aménagement de la ville de Tanger qui définira la stratégie et la vision de la ville en relation avec Tanger Med, les zones industrielles et les zones franches.
Avec l’installation du Port Tanger Med, des zones industrielles, de la réalisation en cours de la ligne à grande vitesse, et le tout dernier réaménagement en cours du grand projet de reconversion du port de Tanger, nous pouvons considérer que la ville est déjà une ville à caractère industriel. Mais devons-nous continuer dans cette orientation ou favoriser le tourisme ou les activités de services ?
Il nous faut donc qualifier la ville aussi par son rapport aux autres villes et dépasser les dysfonctionnements entre les secteurs de la ville.
Le schéma directeur va permettre une vision sur la relation entre la ville et les communes rurales avoisinantes, telles Aouama, Bahraouyine et Gueznaya, qui font maintenant partie intégrante du territoire en cours d’urbanisation.
AM : Votre mission prend-elle en compte les zones rurales ?
A.B.
Beaucoup d’attention a été accordée au milieu rural, en plus de la planification et de lancement des plans de développement des différents douars. Un règlement unique au Maroc a été établi concernant la construction dans le monde rural.
En premier lieu, on s’est basé sur tous les documents en matière d’urbanisme, on a délimité tous les douars avec prise en considération du mode de vie rural et on à octroyer à l’intérieur des douars déjà engagés des autorisations pour un minimum parcellaire de 300m2. Au Maroc, selon les textes régissant l’urbanisme, le minimum parcellaire de construction est d’un hectare.
D’autre part, pour les autorisations de construire, un plan rattaché aux coordonnées Lambert est exigé, on vérifie si le projet s’inscrit dans le document, on analyse le projet, conscients que ce n’est pas de l’habitat économique mais un habitat rural. La satisfaction a été immédiate, et cela n’a pu se faire que grâce à un consensus entre l’Agence urbaine, les autorités et le président concerné.
AM : Quelle est la part de l’implication des habitants dans les projets urbains et ruraux ?
A.B.
L’adhésion des habitants dans le rural et dans les quartiers sous-équipés s’exprime par le fait qu’ils prennent attache avec les services compétents pour déposer leurs demandes d’autorisation de construire.
L’expérience de la ville de Tanger en matière de lutte contre la prolifération de l’habitat clandestin est réussie. Un accord cadre élaboré dans le cadre de la mise en œuvre du programme de l’Initiative Nationale de Développement Humain a permis la dotation de plusieurs quartiers sous-équipés de plans de redressement et d’intégration urbaine ou de plans de desserte permettant, d’une part, la gestion et l’instruction des demandes d’autorisation de construire et, d’autre part, l’équipement de ces quartiers en infrastructures de base (assainissement, eau potable, électricité…).
Propos recueillis par Hanae Bekkari