Trajectoires croisées
Kilo Architects
Ayant acquis une solide expérience dans différents contextes étrangers, l’agence Kilo, fondée par Tarik Oualalou et Linna Choi, trouve ses marques au Maroc dans la richesse et la diversité du patrimoine bâti marocain.
Pratiques croisées
Quand nous avons créé l’agence avec Linna en 2000, avec nos premiers bureaux à Paris et New-York, nous voulions proposer une pratique de l’architecture qui soit une forme d’investigation territoriale constante. Un questionnement de nos environnements et la recherche d’une manière empathique, radicale et contemporaine de s’y inscrire. Cela nous a très vite amenés à développer une trajectoire à deux vitesses. Pour ce que nous faisions en France et en Europe, nous nous inscrivions dans une scène déjà très constituée, où le périmètre de la pratique est réduit mais extraordinairement valorisé. Par contre au Maroc, mais également dans d’autres pays arabes et africains, nous avons très vite travaillé sur des projets sensibles, importants, qui pouvaient peser sur le territoire de manière forte. Nous nous sommes rapidement rendu compte que le périmètre de la pratique était beaucoup plus étendu. D’une certaine façon, nous rentrions dans les projets « plus tôt » et nous en sortions «plus tard». Cette pratique à deux vitesses, cette dichotomie, a alimenté notre approche du projet dans une forme productive de décalage.
La matière
Une des différences intéressantes qui pèse sur ces deux trajectoires croisées, c’est le rapport entre le travail et la matière dans la fabrication du projet. Si la matière est chère et le travail encore très abordable au Maroc par exemple, cela permet de fabriquer des architectures élémentaires très riches dans leur matérialité, peu industrialisées et finalement artisanales. Elles dégagent beaucoup de sensualité et peuvent s’ancrer dans le paysage avec force. A l’inverse quand nous travaillons en France, la matière est non seulement pléthorique mais aussi technologiquement affirmée, ce qui fabrique avec un minimum de travail sur le chantier des architectures certes un peu plus aseptisées, mais aussi plus contrôlées. Ce que je décris ici est certes un peu caricatural, et les différences tendent (malheureusement) à se réduire, mais cette inversion est pour nous un guide, une manière de penser la fabrication du projet qui dialogue avec son environnement.
L’espace public
La grande spécificité de la pratique de l’architecture et de l’urbanisme en France est l’obsession continue du développement d’un espace public, contrôlé, habité, approprié, qui est finalement l’expression de la présence de l’Etat dans le projet. Cette obsession coûte cher, et bien que nos pays aient des structures administratives comparables, l’Etat n’arrive plus à être le garant de la continuité de cet espace public. Ce glissement d’un espace public municipalisé vers un espace commun concédé (plan azur, vallée du Bourégreg, villes nouvelles, zone d’offshoring…) est une tendance lourde de la fabrication de nos environnements. Nous imaginons notre travail comme une forme de résistance à cette orientation.A travers les projets de l’agence nous cherchons à injecter, amplifier ou simplement cerner la prérogative publique de nos bâtiments.
Maroc terre d’accueil ?
La grande contribution du Maroc à l’histoire de l’architecture récente est d’avoir été au XXème siècle une grande terre d’accueil, qui en a fait un territoire d’expérimentation unique. Cette tradition nous donne la capacité d’absorber, d’ingérer, de transformer et de réinventer la multitude des influences qui continuent de nous traverser. Elles nourrissent certainement la scène architecturale la plus intéressante d’Afrique et du monde arabe. Plutôt que de résister, en se refermant dans une idéologie conservatrice d’une identité fantasmée, il faut au contraire se nourrir de toutes ces trajectoires architecturales, hybrides, mondialisées et finalement qui trouvent souvent une expression très marocaine.
Tarik Oualalou