Tourner la ville vers l’eau

Marwa Cheikh-Youssef Alaoui
Architecte, urbaniste, chercheur, et doctorante, Marwa est diplômée de l’ESA, titulaire d’un master professionnel en aménagement et en urbanisme, option développement économique des territoires. De plus elle a obtenu un master de recherche en aménagement et en urbanisme. Actuellement, elle est doctorante en aménagement et urbanisme à paris IV Sorbonne.
Architecte, urbaniste, doctorante en aménagement et urbanisme, cette jeune femme s’érige contre la dilapidation foncière de la corniche de Casablanca. Elle ébauche ici des réflexions autour des divers projets qui s’échelonnent le long de la baie océanique. Ce plaidoyer pour que la vue sur la mer soit préservée et pour que soient épargnées les dernières réserves foncières rappelle que ce paysage naturel est un patrimoine à sauvegarder.
Casablanca ville côtière,
Cette identité dans le cas de notre ville n’est que nomenclature, de par sa situation géographique.
L’océan ne fait pas partie du quotidien des habitants ni des visiteurs. Les anciennes réalisations et les nouveaux projets aggravent la situation en encombrant la côte casablancaise.
Pour un visiteur, la lecture urbaine de notre corniche révèle trois ambiances bien distinctes. D’un côté un chantier jusqu’à la mosquée Hassan II, puis plus rien, ou plutôt un « no man’s land » jusqu’à la pointe d’El Hank. Ensuite, la corniche avec quelques constructions qui bétonisent le littoral et laissent percevoir l’océan par séquence.
Oui, notre ville économique tourne le dos à l’eau.
Certes, nous sommes héritiers d’une morphologie urbaine historique (remparts protégeant la ville des invasions) et l’Océan, source de nuisance (humidité). S’ajoute à cela notre culture arabo musulmane qui a fait de nos demeures des maisons à patio sans ouvertures sur l’extérieur. Comment alors nous défaire de notre carcan ?
Le protectorat a émancipé les mentalités. Depuis les années 30, les premières habitations et villas hors de l’enceinte font leur apparition, les habitants plus avant-gardistes, iront se nicher sur la colline d’Anfa ou à Ain Diab…Peu à peu, une nouvelle dynamique urbaine s’installe, mais toujours à l’écart de cette corniche. Notre conception architecturale et notre mode de vie reste difficile à réorienter vers l’océan, compte tenu de notre héritage urbain et sociétal.
Aujourd’hui, vivre au bord de la mer est synonyme de luxe. Vu le potentiel de notre corniche, les volontés d’aménagement se bousculent, mais les plans d’actions sont souvent désolants.
Nous constatons que nous continuons, mais de manière différente, à tourner le dos à la mer.
Les équipements touristiques ou projets immobiliers, offrent un accès privé aux occupants des lieux et bloquent l’accès spontané vers le rivage au public.
Certes la promotion immobilière et l’établissement de méga-surfaces commerciales, sont des moteurs économiques générateurs d’emploi. Mais ils ne doivent pas s’installer au détriment du patrimoine maritime. Au Canada, le mall est une nécessité compte tenu du froid, de même qu’aux Emirats arabes unis avec son climat désertique et humide. Ces structures sont situées à l’intérieur des terres de part leur fonction commerciale. En bordure de l’eau, les pays bénéficiant de côtes aménagent des plages publiques, ponctuées de réalisations architecturales phares, tel que Borj Al Arab.
Heureusement, un endroit demeure indemne, sans doute pas pour longtemps, entre la mosquée Hassan II et la pointe d’El Hank. Si nous reproduisons une action miroir du projet de la marina depuis l’axe Mosquée Hassan II, la vue sur l’océan est définitivement bouchée.
Le modèle Dawliz placé de l’autre coté de l’axe de la route ou parc « Sindibad » en contrebas niché harmonieusement au milieu de la forêt de Sidi Abderrahmane serait plus judicieux.
Au moment où Barcelone s’est défaite d’un carcan industriel et a complètement rénové sa corniche, Casablanca continue d’user du droit à la construction, pour le plaisir des promoteurs, au détriment du bien-être des citadins dans la ville.
L’état embryonnaire de la corniche, il y a vingt ans, était encore plus malléable qu’aujourd’hui. Malgré les quelques édicules qui mitaient la corniche depuis le Mc Donald à El Manar jusqu’à à Ma Bretagne. Nous aurions pu redéfinir l’existant et appliquer le droit de « préemption »de la ville pour tout nouveau projet souhaitant s’installer sur le rivage.
Il ne suffit pas de restaurer certains équipements ou de relooker un mobilier urbain. Il s’agit dans un premier temps de tourner la ville vers cette corniche. Puiser dans ses ressources et ses potentiels permettrait de créer un nouveau pôle.
L’ensemble de la corniche devrait être réaménagé par des infrastructures et des équipements répondant aux besoins quotidiens socio-économiques des casablancais. Ce nouveau centre urbain et côtier, renforcerait l’identité côtière de Casablanca dans le durable, été comme hiver.
Le rivage devrait être libre de toute construction. Une promenade piétonne, une coulée verte, puis une circulation automobile le séparerait des projets touristiques, mall, équipements sociaux économiques, projets immobiliers,…
Osons renouer avec l’eau, proposons un espace d’échange minéral libre, modulable au grès des événements, un forum où la jeunesse s’exprimera, exposera, le long du rivage, puis un espace tampon vert (Casablanca en manque cruellement).
Ce nouveau centre côtier abriterait diverses structures publiques ou privées: poste, banque, commerces de bouches, marché hebdomadaire en plein air…
Nous devrions ensuite connecter ce nouveau pôle urbain et côtier aux sites phares de la ville et aux centres déjà existants : la mosquée Hassan II, l’ancienne médina, le port, la place Mohamed V et la cité des « Habous ».
L’océan fera intégralement parti de la vie quotidienne des habitants. Nous aurons de cette façon tourné la ville vers l’eau.
Marwa Cheikh-Youssef Alaoui