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RECONVERSION RÉUSSIE D’UN RIAD EN DIWAN AL MADHALIM

12 Sages de K Alaoui

« Les 12 sages de Karim Alaoui se penchent en accolade fraternelle sur les doléances des citoyens pour permettre à la justice de se réaliser. »

C’est au quartier des Habous, dont la valeur patrimoniale n’est plus à démontrer, que l’Institution du Médiateur du Royaume (Diwan Al Madhalim) a choisi d’établir ses nouveaux bureaux. Le coup de cœur du Wali de l’institution pour un magnifique riad à proximité du Palais Royal a déclenché une dynamique féconde, à l’origine d’un projet de reconversion exemplaire, œuvres des architectes Khalid et Rachid Bohsina.

Le projet concernait la création d’un équipement de proximité, destiné à abriter le siège de l’Institution Régionale du Médiateur du Royaume, dite « Diwan Al Madhalim », au quartier des Habous à Casablanca. Cette institution qui a vu le jour sur une initiative royale a pour mission de faire régner la justice et de redresser les torts et les préjudices que les citoyens viendraient à subir, en raison de dysfonctionnements administratifs, d’une mauvaise application de la loi, ou encore de décisions arbitraires impliquant un abus de pouvoir.

La bâtisse qui a attiré l’attention de Monsieur le Wali de Diwan Al Madhalim est une demeure traditionnelle située à l’angle du Bd Victor Hugo et de la rue Ahmed El Figuigui au quartier des Habous et datée approximativement de 1925. Composée de deux riads attenants, elle avait la particularité d’abriter de somptueux spécimens de zelliges, de stucs et de boiseries.

Malgré la qualité et la richesse de ses décors, dont la plupart semblaient étonnamment bien conservés, la construction était en état de délabrement avancé, ce qui rendait difficile une prise de décision pour son éventuelle acquisition. Cependant, et malgré l’avis contraire de ses conseillers et des partenaires institutionnels qui redoutaient les coûts élevés liés à la restauration d’une construction en si mauvais état et l’allongement des délais que laissait entrevoir une telle opération, le Wali de Diwan Al Madhalim a entrepris de solliciter l’avis de l’architecte. L’avantage d’une proximité

immédiate avec le Palais et le souhait de perpétuer une tradition séculaire qui veut que les citoyens désireux de porter plainte auprès du Souverain se dirigent vers Diwan Al Mahalim pour y inscrire leurs doléances, ont conforté le Wali dans son choix. Ce dernier a exhorté l’architecte à redoubler d’efforts pour trouver des solutions et sauver la bâtisse d’une démolition certaine.

Ce dernier, et après de nombreuses visites en compagnie d’ingénieurs et de représentants de bureaux de contrôle, tous volontaires au début, a esquissé des solutions et entrevu une issue possible avec pour fil conducteur : ne garder que l’essentiel des deux riads. Cette démarche persévérante et méthodique a fini par porter fruit puisque le feu vert a été donné pour l’acquisition de la demeure, non sans difficultés !

Le défi à relever pour les architectes était de taille : d’abord technique, financier et enfin patrimonial. En effet, la réglementation de la zone prévoyait un recul en façade de quatre mètres, ce qui signifiait la démolition pure et simple des riads. Grâce à l’appui de l’agence urbaine, de la commune et de la Wilaya, tous impliqués dans la sauvegarde du bâtiment, cette difficulté a été contournée. Sur le plan technique et lors de la conduite de ce chantier délicat, les architectes ont eu recours à de nombreuses astuces et précautions destinées à préserver la composante patrimoniale de la bâtisse, soit :

– faire un état des lieux des éléments à préserver en vue de les démonter pour éviter leur dégradation lors des travaux de chantier : menuiseries, certaines pièces de marbre et de stuc.. ;

– repérer et marquer en peinture rouge les éléments à démolir par l’entreprise, cela permet d’éviter des erreurs souvent irrémédiables ;

– faire preuve de pédagogie et expliquer le mode de construction de l’ancien bâtiment et la manière d’y intervenir dans le respect de l’existant. Cette tâche s’avère souvent gourmande en temps mais nécessaire à la réussite du projet de reconversion.

Par ailleurs, les architectes ont procédé à la suppression de tous les rajouts effectués à travers le temps et sans lien avec le bâtiment initial. Libéré à plus de 40 % de tout ce qui le surchargeait, jugé sans intérêt pour son architecture, le bâtiment a vu ses plans initiaux réajustés. Il s’avérait aussi que la structure prévue initialement pour supporter l’étage ne pouvait être placée dans les murs épais au risque de le fragiliser davantage.

Une nouvelle étude a donc été suggérée pour une adaptation hors les murs et l’installation judicieuse de 4 poteaux dans les patios, avec une reprise en sous-œuvre de la couverture du rez-de-chaussée. Le parti pris originel de l’architecte est demeuré inchangé. En effet, il s’agissait de réussir une « greffe » où artisanat et technique vont de pair en construisant autour des patios, auxquels se rattache une nouvelle bâtisse qui fait office d’entrée à l’institution, tout en gardant le concept d’une chicane donnant sur la splendeur des riads.

La totalité de l’électricité et la plomberie furent changés. On y a ajouté la climatisation pour tous les locaux. Certains carreaux furent complétés par la copie du dessin et une commande sur mesure. Le même procédé a été suivi pour les corniches en plâtre décoratives pour lesquelles un moule a été réalisé, sans oublier les zelliges, le marbre et les boiseries.

Les sols en marbre des deux riads n’ont pu être gardés car trop abîmés et ont été remplacés par un marbre aux tonalités anciennes. Les nouvelles salles créées au rez-de-chaussée ont été réalisées selon la même technique que l’existant, sans pour autant dépasser le budget alloué au projet. « Il fallait à tout prix redonner vie à une architecture traditionnelle, la compléter comme si elle avait toujours existé sans notre intervention » ont souligné les architectes.

Aussi pour les deux riads, une verrière s’est rapidement imposée : elle dessine le déroulement des journées en projetant une ombre sur les murs de l’étage nouvellement construit, véritable clin d’œil à la verrière de Foster, au British Museum de Londres. Il fallait qu’elle s’ouvre en prévision des grandes chaleurs d’été.

Le profilé aluminium était donc tout indiqué pour réaliser une « toile d araignée » : Il s’agit de 4 pyramides en verre portées par une structure métallique motorisée. L’impact sur l’ancien est positif dans la mesure où la légèreté de la verrière fait passer l’architecture des riads au premier plan.

Autre point important de cette reconversion est l’intégration d’une œuvre d’art sous forme de sculpture-fontaine, signée par l’artiste Karim Alaoui. En effet, les architectes avaient émis le souhait d’un point d’eau à l’intérieur du grand riad. Leur choix s’est arrêté sur le sculpteur Karim Alaoui pour une intervention singulière. Ce dernier a eu « carte blanche » pour proposer une œuvre en adéquation avec l’esprit des lieux.

Le résultat en est une sculpture surprenante, qui raconte une belle histoire, celle du film de Sidney Lumet « Douze hommes en colère », réalisé en 1957. Ainsi, les 12 sages de Karim Alaoui se penchent en accolade fraternelle sur les doléances des citoyens pour permettre à la justice de se réaliser. Au milieu du grand riad, une fontaine lumineuse trouve tout son sens dans le scénario imaginé par l’architecte.

Enfin, le symbole de la justice transparaît sur la façade en arcade et en équilibre sur 4 niveaux. C’est une façade à double peau totalement ajourée, contrairement à celle d’un riad, qui intrigue par un subtil jeu d’échelle : 4 niveaux ou R+1 ? « La balance en équilibre » suscite la curiosité au point que des touristes en visite à la Mahkama des Habous sont souvent aperçus en pleine séance de photographie devant la nouvelle bâtisse reconvertie.

Il s’agit d’une reconversion modèle qui prouve encore une fois que l’appropriation du patrimoine par les citoyens à tous les échelons est le chemin le plus court pour gagner le pari de la sauvegarde de notre héritage culturel. Grâce à la lucidité et à l’insistance de Monsieur le Wali de Diwan Al Madhalim, visionnaire en son temps, et à l’engagement des architectes, un précieux témoignage de notre architecture traditionnelle est ainsi doté d’une seconde vie et pourra continuer à servir d’exemple, pour des générations à venir. Mission accomplie !

Nadia Chabâa