Les grands défis des villes du Nord
Celui qui fait pour moi sans moi, fait contre moi.
Proverbe africain.
Avec le développement économique sans précédent du Nord du Maroc, les villes font désormais face à de nouveaux défis de compétitivité, de cohésion sociale et de développement durable. Catherine et Youssef El Mrabet, architectes engagés installés à Larache, contribuent souvent à l’amélioration du cadre bâti. Pour eux, l’aménagement urbain est un sujet collectif où chacun est impliqué.
L’intérêt accordé ces dix dernières années au développement économique de la zone Nord du Royaume a permis de réaliser un nombre important de projets structurants. Ces derniers ont agi sur l’attractivité des villes du Nord. Ainsi la ville de Tanger a enregistré une croissance démographique avoisinant les 20% entre 1994 et 2004. Par ailleurs, la population du Nord est devenue à 58,4% urbaine. La demande en logements et en équipements divers s’est donc accrue de manière exponentielle. Les villes doivent faire face à un demande d’emplois croissante, à l’étalement urbain et à des difficultés de gestion.
Longtemps marginalisées, les villes du Nord du Maroc ne doivent plus être considérées comme des sources de problèmes liés à la présence de bidonvilles, à l’insécurité ou à la contrebande, mais comme des villes inscrites dans une dynamique haussière et positive. Cette dynamique va leur faire profiter pleinement des atouts qu’offre le XXIème siècle. Trois défis importants doivent être relevés : la compétitivité, la cohésion sociale et le développement durable.
Le positionnement stratégique de ces villes constitue l’espace d’arrimage à l’Europe ; elles concentrent des atouts indéniables pour la création de richesses et doivent donc être en mesure d’assurer un rôle de moteur du développement.
À l’instar de l’entreprise, l’ouverture croissante de l’économie est à la fois une menace et une opportunité pour ces villes.
Celles qui seront à même d’offrir des conditions de vie et des facteurs favorables à l’activité ont de véritables perspectives de croissance, les autres risquent d’être marginalisées. Force est de constater que c’est déjà le cas pour des villes comme Larache, Ksar El Kebir et Ouazzane. Il est donc important d’intégrer la notion de compétitivité territoriale au sein des stratégies urbaines, et ce à tous les niveaux. En 2006, le taux d’activité était de 43,8% en milieu urbain pour la Région avec un taux de chômage de 12,6%. Il est donc évident que la demande d’emplois va croître et on peut déjà estimer à 100 000 les demandeurs d’emplois supplémentaires.
Néanmoins dans un climat général de compétitivité, l’écart entre les catégories capables de s’insérer dans les secteurs d’activité porteurs (jeunes, instruits et formés) et les autres (âgés, sans instruction ni formation professionnelle) tendra à s’accentuer. « La ville doit offrir à tous les citadins les mêmes chances de promotion, d’accessibilité, d’épanouissement et de créativité. » Le rôle des villes du Royaume est d’assurer une cohésion sociale. Chacun a droit à la ville. Un effort doit être consenti dans les quartiers défavorisés et pas uniquement au niveau des accès des villes et leur centre urbain. On pense bien sûr à l’habitat insalubre et sous-équipé. Cependant la ville ne peut pas être réduite à la fonction d’habiter. Il est indispensable de créer des espaces de loisirs, des parcs urbains et des terrains de sport de proximité.
Aussi faut-il se rendre à l’évidence que les villes du Nord du Maroc sont devenues des espaces où tous les enjeux s’entrelacent. Elles sont des centres de consommation importants aussi bien en eau qu’en énergie (transports). Elles peuvent soit modérer les consommations par des mesures touchant à l’aménagement et à l’urbanisme, soit au contraire les encourager (transports, étalement urbain non maîtrisé). Elles devraient donc intégrer, dans une mesure croissante, cette préoccupation dans leurs stratégies à moyen et long terme. Par ailleurs, on prévoit, dans l’hypothèse la moins haute, que la consommation d’énergie va être multipliée par quatre d’ici 2030. Or, le Maroc dépend à 97% des produits pétroliers, dont le prix va inévitablement augmenter. Chaque année huit millions de tonnes de déchets solides et 600 millions de m3 d’eaux usées ne sont pas traités.
Les projets contemporains dans les villes indice du Nord du Royaume devraient être initiés sur la base de ce triple impératif : compétitivité, cohésion sociale et développement durable.
Ils doivent constituer des expériences pilotes, un laboratoire à l’air libre, pour réussir la régionalisation et préparer l’avenir du pays. L’ambition est de faire évoluer l’action publique en faveur du développement de la ville en tant que moteur de croissance, qui assure la cohésion sociale et qui est économe des ressources. Ces défis ne pourront être abordés que dans le cadre d’une vision et de la convergence des actions des différents acteurs de la ville.
Chaque décision pour ou contre tel équipement, tel espace est un apport à la définition d’une politique urbaine en train de se faire et qui n’est pas contestable. Le consensus s’organise depuis la volonté politique jusqu’au plan qui met en place une stratégie.
La planification spatiale prend forme avec pour objectif de définir les orientations d’un développement urbain durable et procédural, et de servir de prétexte, de support ou de cadre à la mise en place d’une gouvernance urbaine. La planification met en place la gestion urbaine qui est au service du citoyen.
Chaque ville du Nord doit développer son identité et chaque habitant est en droit d’en être fier. Cette étape passe par la réhabilitation des sites historiques et par la création d’espaces de qualité. Ce sont ces conditions qui créent l’appartenance et l’implication nécessaires à la création de la ville : son dessin par les architectes avec la participation des citoyens à travers leurs représentants (élus, associations…).
Dans ce processus, l’architecte, « en associant les techniques de pointe, à l’écoute des populations et avec une prise en compte des sols, des reliefs, des végétaux, des anciens patrimoines, édifie une œuvre contemporaine semblable à aucune autre parce qu’elle affirme avec lyrisme, en même temps que notre modernité, l’identité, l’altérité et les différences d’une culture. »
Ce n’est qu’à ce stade que l’aménagement urbain devient un véritable projet de société où chacun se voit impliqué.
Catherine et Youssef El Mrabet