Fermer X

LE FORUM INTERNATIONAL DES MÉDINAS À OUAZZANE : LE PATRIMOINE SPIRITUEL COMME VECTEUR DE DÉVELOPPEMENT

Le tourisme spirituel, l’environnement naturel et la culture locale sont des outils précieux pour la valorisation et la préservation du patrimoine. C’est ce qui ressort de la 4ème édition du Forum International des Médinas, qui s’est déroulée les 6, 7 et 8 mai, à Ouazzane.

P1170044

La ville de Ouazzane, plusieurs fois centenaire, nichée sur les flancs de J’bel Bouhlal est unique par sa médina de couleur vert aquarelle et hautement célèbre grâce aux pèlerinages au tombeau de Moulay Abdellah Cherif, le Saint patron de la ville et maître du Soufisme marocain. Le choix de cette ville pour l’organisation de la 4ème édition du Forum international des Médinas par l’association du Réseau Méditerranéen des Médinas (RMM) n’est pas fortuit. En effet, Ouazzane possède des attributs patrimoniaux uniques et se distingue notamment par son absence de remparts et de muraille protectrice et un certain conservatisme culturel que sa situation géographiquement enclavée a sûrement contribué à renforcer. Son environnement naturel et les paysages montagneux qui lui servent d’écrin sont d’une rare beauté et constituent un patrimoine naturel de grande valeur. Abritant la célèbre zaouia ouazzania et le tombeau du Rabin faiseur de miracles Amram Ben Diwan, Ouazzane est une ville doublement sainte et présente la particularité d’avoir préservé quasiment intact le cadre architectural de sa médina, qui s’est muée au fil du temps, en centre d’accueil du tourisme spirituel et culturel. Cette situation constitue un atout indéniable pour la ville et pour son économie essentiellement  basée sur l’agriculture et l’artisanat. D’où l’importance de miser sur le facteur humain, véritable force de frappe dans la chaîne de valeurs d’une « économie du patrimoine », seule à même  d’assurer une valorisation de sa médina efficace et pérenne.

Tourisme spirituel et développement local

Lors du premier panel consacré au tourisme spirituel et à son rôle dans le développement local, le professeur Abdellah Chahidi Al Ouazzani a mis le doigt sur l’importance de la zaouia ouazzania sur les plans historique et religieux et son évolution au fil du temps. En effet, « Dar Dmana » était un centre politique et spirituel important et regorgeait de manuscrits théologiques anciens réputés rares, et mis à la disposition des chercheurs et des historiens. Conservés dorénavant à la bibliothèque de la ville, ils constituent un point d’attractivité pour le tourisme culturel et cultuel. L’expérience montre en effet que la zaouia a servi de vecteur au développement « urbain » de la ville  et à son rayonnement, au Maroc comme à l’international.

Pour le professeur Abdelati Lahlou, anthropologue et président de ICOMOS-Maroc, il conviendrait de « reconstituer » les valeurs populaires car celles-ci font partie du patrimoine dit « immatériel ». Ce qui englobe le principe de l’interculturalité et de l’interagissement des cultures entre elles. Ainsi, c’est tout le « système de valeurs » qu’il faudrait préserver et pas uniquement le patrimoine matériel.

Replacer l’humain, son environnement naturel et ses valeurs au centre des stratégies de préservation du patrimoine, telle était la recommandation de Khalid Benomar de l’Agence de promotion et de développement des Provinces du Nord (APDN). Pour lui, la région du nord est l’une des plus connectées du pays. Les élus peuvent y être des catalyseurs et encourager le développement de projets basés sur la culture locale, comme par exemple « Le Musée de la diète méditerranéenne » qui devrait voir le jour,  à la ville de Chefchaouen.

De son côté, Fouad Ahalouch, Secrétaire général du Conseil Régional de la région Tanger / Tétouan a expliqué comment l’aspect et la définition de « territoire » étaient en train de changer. En effet, une nouvelle loi pour la gestion des régions, issue de la Stratégie de Développement territoriale est en train de se mettre en place. Ainsi, les conseiller régionaux seront invités désormais à gérer de manière « personnalisée » leur région, dont les sites patrimoniaux et les particularités locales, soit :

– Les paysages naturels : forêts, eaux et spécificités territoriales,

– Les aspects culturels et sociaux du patrimoine de leur région.

Cette nouvelle définition du territoire est susceptible à terme, d’amener les collectivités locales à agir sur leur territoire avec davantage d’implication. L’équation patrimoine / développement est dorénavant une nécessité et une économie de « pôles » patrimoniaux s’avère incontournable. L’application de cette nouvelle loi pourrait être source d’émulation et de concurrence saine entre les différentes communes et collectivités territoriales, et créer une plus grande complémentarité par la mise en avant des points forts relatifs à chaque région.

Mohammed Rami, représentant le Ministère de l’Urbanisme et de l’Aménagement du territoire a présenté globalement la stratégie du Ministère en ce qui à trait au patrimoine urbain. Cette dernière préconise essentiellement une approche urbanistique multisectorielle, impliquant tous les partenaires et intervenants dans l’acte de bâtir et l’adoption d’un cahier des charges propre aux tissus urbains antiques.

Patrimoine naturel et tourisme rural  

Le deuxième panel consacré au patrimoine naturel, produits du terroir et tourisme rural et environnemental a été riche en enseignements, en exemples et en propositions de meilleures pratiques pour une valorisation du patrimoine naturel et paysager, ainsi que des coutumes et savoir-faire locaux. Aujourd’hui, Ouazzane est une ville à faible densité située sur un territoire à composante rurale. Elle est de ce fait fragile et peut devenir la cible de comportements irresponsables. Le témoignage de Abdelouahed Idelhaj professeur à l’Université Abdelmalek Saâdi, a apporté un éclairage nouveau sur cette question. Pour cet enseignant de la filière « Master en tourisme responsable » à Tétouan, le tourisme patrimonial serait à encourager, à condition de contourner l’écueil d’une approche indifférenciée. Selon lui, les villes marocaines courent le risque d’une standardisation de leur approche touristique par la multiplication des chaînes hôtelières, et des espaces d’accueil plus ou moins « normalisés ». Le résultat en est une offre qui manque de panache et un manque à gagner pour l’économie des villes. Pour le pédagogue, la prise de possession par certains ressortissants étrangers d’anciennes demeures réhabilitées avec plus ou moins de bonheur (les exemples sont nombreux en médina de Marrakech) et  leur transformation en « maison d’hôtes » destinées à une clientèle huppée, fait partie d’une approche touristique non responsable. Selon lui, cette attitude ne « nourrit » pas le patrimoine et profite peu aux habitants locaux car elle n’émane pas d’eux. Le respect des différences religieuses étant la caractéristique principale de la ville de Ouezzane, un circuit touristique reliant Moulay Abdellah Cherif à Dar Dmana pourrait correspondre à l’« ADN » de la ville et faire partie d’une pratique de tourisme responsable, respectueux de la ville et de ses composantes locales.

Les expériences africaines étaient également à l’honneur lors de ce deuxième panel, avec la présence de Issa Timamy, gouverneur de Lamu (Kenya), Mpofsu Sifizu, maire de Victoria Falls (Zimbabwe), Adamou Ndam Njoya, maire de Foumban (Cameroun), Khalifa Imama, maire de Tombouctou (Mali), Diane Nee Toure Nasseneba, maire d’Odienné (Côte d’Ivoire) et Mariama Ousseini Camara, représentante de la commune rurale de Karofane (Niger). L’ensemble de ces expériences tend à démontrer certaines avancées réalisées par les villes africaines dans la mise en valeur de leur patrimoine naturel, comme le développement de produits « hydrographiques » (utilisant l’eau) par la commune d’Odienné, avec la création de lacs artificiels à usage touristique, installés en savane et équipés de restaurants. Une proposition de la mairie de Tombouctou concernait  la création d’un circuit touristique à caractère spirituel, qui relierait les villes de Ouazzane et celle de Tombouctou, cette dernière étant riche en mausolées et en sites religieux.

La présentation de l’expérience du site du parc naturel de la région du Lubéron par Arnoul Hamel, chargé de mission à la région PACA, a mis en exergue le rôle des acteurs locaux dans la mise en valeur du patrimoine naturel. L’appellation « Parc Naturel Régional »

étant une marque déposée en France par le Ministère de l’environnement, elle ne s’applique que sur un paysage conservé et sa demande ne peut émaner que des populations locales (habitants / élus / autorités). Ce qui en fait un excellent levier de développement régional qui sert d’appui à la politique touristique locale. Néanmoins, le coût de ce tourisme ne doit pas être trop élevé en termes de pression sur l’écosystème de la région. L’exemple du Parc du Lubéron étant considéré comme une expérience modèle, une coopération est actuellement en cours entre celui-ci et le Parc Naturel de Bouhachem, au nord du Maroc.

Le Professeur Rachid Jarmouni, enseignant à l’Université Moulay Ismaïl, à Meknès a annoncé le projet de création d’un centre d’études universitaires et d’un Master en Villes Antiques, afin d’appuyer la recherche et compléter l’action du Forum et du Réseau Méditerranéen des Médinas. Dans cette optique, un projet d’ouvrage sur la ville de Ouazzane et son histoire serait également en cours.

Des produits du terroir labellisés

Selon Abdelaziz Lachheb, parlementaire et président de la commune de Aïn Beida, « Dar Dmana » est presque un label pour Ouazzane et peut constituer l’axe stratégique principal de son développement futur. Le problème réside dans le fait qu’au niveau national, les stratégies sont développées par secteur, chacune relevant d’un ministère : vision 2020 pour le tourisme, 2015 pour l’artisanat, Plan Maroc vert… ce qui rend difficile leur convergence sur le terrain, notamment au niveau des collectivités locales. Les produits du terroir labellisés, tels que « l’huile d’olive de Ouazzane », les figues sèches ou encore la djellabah ouazzania « 100 % laine », peuvent servir de base au développement de l’écotourisme dans la ville. A. Lachheb a proposé la création d’une caisse pour encourager les investissements dans la création d’infrastructures touristiques dans la région. Il a appelé également à davantage d’implication des femmes et des jeunes dans ce processus.

Dans le dernier panel, consacré au rôle de la société civile dans le développement local et la promotion du dialogue des civilisations, Mohamed Sefiani, maire de Chefchaouen et président du Réseau Méditerranéen des Médinas (RMM) a mis en exergue l’expérience de sa municipalité dans le lancement d’un processus décisionnel ayant trait à l’aménagement de la place « Sahat Al Khassa », en concertation avec la population. En effet, l’appel d’offres du projet avait fait l’objet d’un débat entre architectes et acteurs sociaux, ce qui a abouti à de nombreux changements dans le cahier des charges initial. Une autre initiative a concerné le lancement d’un débat autour de la gestion déléguée des déchets, également couronné de succès. Une future concertation avec la population civile concernera la création et la gestion d’une nouvelle salle couverte. Le président du Réseau des Médinas a conclu à l’importance de remettre la société civile en confiance afin de l’amener à exercer pleinement son rôle dans le développement local. Dans l’idéal, ce serait aux associations et acteurs civils de venir en aide aux communes et non l’inverse.

La 4ème édition du Forum international des Médinas s’est achevée avec une lecture des recommandations finales, en présence de M. le Gouverneur de la Province de Ouazzane, venu donner son appui à l’évènement. À noter que cette édition organisée par RMM, en collaboration avec le Ministère de l’intérieur et les Conseils territoriaux, régionaux, provinciaux et communaux de la Ville de Ouezzane a été l’occasion de la signature de plusieurs conventions de partenariat et a connu la présence de plus de 17 villes invitées et de plusieurs experts internationaux. Parmi les idées maîtresses avancées lors de cette 4ème édition, notons la création de conventions pour l’encadrement des actions de préservation des médinas, la mise en place de modèles intercommunaux pour la gestion du patrimoine des villes et de leur région, et la création d’un « Pacte de convergence » qui lierait le Ministère de l’Environnement aux autres ministères, pour une meilleure conformité des stratégies nationales avec les contingences environnementales.

Il reste à espérer que l’appel fait aux investisseurs et aux promoteurs nationaux pour l’accompagnement de la stratégie de développement de la ville de Ouazzane par le biais du tourisme, et notamment le tourisme patrimonial, ne donne pas lieu à une urbanisation sauvage, qui ne manquerait pas de dénaturer le cachet de la ville en entamant ses espaces naturels, qui constituent aujourd’hui sa richesse essentielle.