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L’architecture est morte, Vive l’Architecture

Brahim Abansir Architecte DISA La Cambre Bruxelles

Brahim Abansir
Architecte DISA La Cambre Bruxelles

La reconversion du complexe industriel de l’ex-centrale thermique d’Oujda ferait l’objet d’une expérimentation singulière et unique en son genre. Or, l’ONE, a décidé de détruire l’édifice pour 25 millions de dirhams.

Si ce projet devenait un lieu culturel ouvert à tous, l’architecture reprendrait sa place d’art majeur et la ville ne pourrait qu’en bénéficier. Ce patrimoine est en péril, à sauver absolument !

Dans ce titre, construction et destruction s’opposent de façon, semble-t-il, harmonieuse.

Il n’en est pas de même sur le terrain.

L’architecture se superpose en strates : matière, mémoire, énergie… où le déclin et le renouveau se succèdent. Lorsque AM, m’a demandé d’écrire un article sur la destruction de l’ex-centrale thermique d’Oujda, j’ai été d’autant plus surpris que j’avais oublié, moi, architecte, l’acte de détruire et sa violence polémique.

On dit qu’il faut souvent un architecte pour détruire l’œuvre d’un autre architecte, et qu’il est désormais acquis que la plupart des bâtiments auront plusieurs vies. En effet, le stock des bâtiments existants qui n’ont plus d’usage est tel qu’il est urgent aujourd’hui de penser à les réutiliser avant d’en construire de nouveaux. Reconversion, transformation vont devenir des modes opératoires de plus en plus courants.

Belles architecture repéres de la ville à sauvegarder ?

Belles architecture repéres de la ville à sauvegarder ?

Centrale thermique d'Oujda

Centrale thermique d’Oujda

Que faire des passés récents ou même anciens ? Comment leur redonner du souffle avec subtilité ? Chantier crucial au Maroc : le devenir des grands ensembles. Un des défis qui s’impose aux architectes d’aujourd’hui.

Déjà Vu !

Dans la zone industrielle d’Oujda, quartier Mauritanie, le complexe industriel de l’ex-centrale thermique, patiemment restauré, conjugue de manière surprenante histoire du lieu et édifices contemporains. Un ensemble unique en son genre qui, depuis bientôt 14 ans, voit défiler les concepteurs d’aujourd’hui et de demain.

L’ex-centrale thermique d’Oujda est un lieu à part, propice à la création, à la rencontre. Au sud d’Oujda, au cœur de l’Oriental, à la croisée des chemins entre la Méditerranée, l’Europe du sud et l’Afrique sub-saharienne. Un bâtiment qui invite à une parenthèse spatio-temporelle grâce à la pugnacité de ses fondateurs, l’ONE, l’Office National de l’Electricité.

C’est à l’ONE qu’on doit notamment des démarches expérimentatrices et des expositions magistrales. Dans l’ancien site de l’ex-centrale thermique d’Oujda, l’ONE développe depuis plus de cinq ans échanges et pratiques autour de l’architecture, de l’ingénierie et du design. Tombé en 1975 sous le charme du site, de son emplacement et de son front de contact avec la région de l’Oriental, l’ONE a entrepris un chantier de plusieurs années pour rendre viable ce patrimoine industriel.

Il est vrai que la valeur patrimoniale ressentie augmente avec le risque de disparition. Si nous nous accrochons fortement à un patrimoine dont une partie est condamnée par le temps, c’est que nous ne savons plus le remplacer, plus le continuer.

Il est vrai aussi que le désir de conserver des édifices remarquables ou ordinaires, de les transformer, de les adapter à de nouveaux usages, afin de capitaliser une forme de mémoire, résonne de manières très diverses selon les cultures et les sociétés.

Regard d’une société sur son passé ancien, sur sa mémoire… L’ONE le traduit sur le site de l’ex-centrale thermique d’Oujda, multipliant les axes prospectifs en conviant sur un format généralement hebdomadaire, des architectes, ingénieurs et designers de renom ou émergents à animer des thématiques plurielles afin de susciter des vocations, découvrir des passions, explorer de nouvelles dimensions tant matérielles que poétiques.

Nulle volonté de fonder une école privée d’architecture ou de design… Le projet repose sur la croisée des savoirs et des parcours, anticonformiste, particulièrement éclectique puisqu’il concerne autant le design que l’architecture, le graphisme que l’art culinaire.

L’ex-centrale est accessible à tous : jeunes cherchant leur voie, anciens aguerris. C’est là la force du projet de l’ex-centrale thermique : mêler les cultures, les nationalités et les expériences professionnelles, on peut être architecte comme pharmacien.

Depuis les années 2000, des centaines de participants sont passés par là, une communauté s’est créée, avec des contacts multiples via Facebook ou Twitter.

Un projet majoritairement financé par les fonds du propriétaire « ONE ».

Centrale thermique d'Oujda - 2013

Centrale thermique d’Oujda – 2013

Déjà le site accueille des dépendances aménagées pour héberger les visiteurs, des halles équipées d’outillages, deux fours à haute température pour des ateliers de verrerie et de céramique. Ne sommes-nous pas dans une centrale thermique reconvertie ! Il est désormais acquis que les bâtiments auront plusieurs vies.

Enfin, la dimension écologique est fondamentale. Une partie du site conjugue potagers et terrains exploitables donnant ainsi une certaine autonomie à l’ensemble. Les thématiques des ateliers s’inspirent du génie du lieu pour élaborer des axes de travail respectant la nature environnante, le recyclage des espaces et des matériaux. Nous sommes bien à l’intérieur d’un espace restauré et transformé !

L’essentiel de ce qui se passe sur le site demeure invisible, car les productions des ateliers sont emportées par les créateurs.

A l’entrée du site, une plaque commémorative : « il faut laisser mourir les ruines, restaurer les ruines est aussi inutile que maquiller des vieillards… Laissons mourir les ruines de la mort des hommes et des plantes. D’autres statues et d’autres temples sortiront de la poussière fécondée. »

Déjà vu ? l’Architecture est morte, vive l’Architecture.

Brahim Abansir