AM N°22 L’architecture des cliniques
La ville et la santé
On pourrait imaginer que l’homme de la ville est avantagé par rapport à l’homme de la campagne. On pourrait croire aussi que le manque d’équipement sanitaire et la carence en infrastructure défavorisent surtout des populations rurales qui n’ont accès qu’à des soins élémentaires. Or, on en est sûr aujourd’hui, que c’est la ville elle-même qui provoque les pires maux. L’effet de serre est dénoncé comme responsable des affections respiratoires. La pollution provoquerait de l’asthme et des atteintes cardio-vasculaires. La mauvaise orientation des logements engendrerait, quant à elle, des formes de cancers… Les maladies propres à notre siècle de consommateurs invétérés, sont classées dans la catégorie de « maladies de pays riches ». Voilà que la concentration urbaine et l’opulence deviendraient néfastes !
Pas étonnant alors que le nombre de cliniques qui s’installent dans les zones urbanisées croisse de jour en jour. Sur le seul boulevard Ghandi à Casablanca, pas moins de cinq cliniques de spécialités diverses se sont déjà installées. Cela signifie-t-il que Casablanca soit de plus en plus malsaine ?
Dans ce numéro consacré aux cliniques privées, nous avons cherché à aborder ces espaces comme des lieux qui concilient le soulagement de la souffrance avec le geste architectural.
Il est sûr qu’un bel espace rassure d’emblée le patient et le met en confiance vis-à-vis de son médecin. Pendant que les hôpitaux marocains peinent à améliorer les conditions d’accueil des patients et qualifient « d’humanisation » la démarche d’offrir un cadre décent aux malades démunis, les médecins du privé s’attellent à la fourniture d’un hébergement digne d’une hôtellerie de luxe pour des patients fortunés. Ces dix dernières années ont vu fleurir des cliniques aux couleurs chatoyantes, aux façades ostentatoires, utilisant des matériaux de luxe, avec des volumes audacieux, des salles bien équipées et spacieuses. Toutes sont de belles réalisations urbaines, bien apparentes, où l’on s’arrête volontiers pour soigner ses bobos. Mais pour sauver des vies humaines, ne perdons pas de vue que la clinique est avant tout un immeuble intelligent, porteur de circuits sophistiqués d’oxygène, d’électricité, conduisant des réseaux de toutes sortes, grâce à une haute technologie et des matériaux de plus en plus précieux. Qu’en est-il des entrailles de ces machines à soigner ? Quelles ont été les normes qui y ont été appliquées pour leur construction ? Comment pouvons-nous avoir la garantie que les soins y seront rigoureux, à l’image de ce new-look ? Si les carrosseries sont de plus en plus belles, le moteur l’est-il aussi, et quand bien même il le serait, a-t-il les bons flux pour tourner ?
Nous avons été consternés d’apprendre que les normes et réglementations ne sont pas largement diffusées et ne sont pas communiquées par le Ministère de la santé.
C’est pourquoi nous les livrons au lecteur dans leur dernière version. Sur le plan urbain, la carte sanitaire, guide de la répartition équitable des cliniques dans les villes, n’a toujours pas été établie. Or, pendant ce temps, la ville s’étend et s’agite produisant de plus en plus de stress et d’effets de serre et nécessite toujours plus d’équipements.
Supposons un instant qu’au lieu de démultiplier les équipements sanitaires pour guérir les malades, les gestionnaires de villes se mettent à concevoir le développement durable appliqué à l’urbain. Alors on redoublerait d’effort pour substituer à la démarche curative une attitude préventive. Il suffirait de rénover les espaces verts existants, d’en créer de nouveaux pour redonner un poumon à la ville.
Il suffirait de détourner les grands flux de circulations, transformer les centres en quartiers piétonniers. Il suffirait de contrôler la qualité des hydrocarbures et des émanations d’usines… Les décideurs feraient figurer la santé du citadin dans le cahier de charge des schémas directeurs et placeraient l’homme, et non la voiture, comme l’usager premier de la cité. Alors le médecin devra unir ses efforts à ceux de l’architecte et participer à la conception des plans d’aménagement pour anticiper la ville de demain et reconquérir l’urbanité perdue.
Selma Zerhouni
Sommaire
ÉDITORIAL
La ville et la santé
ACTUALITÉS
Le Tulipe Building, un repère dans la ville
CONCOURS
Une nouvelle Agence urbaine pour Safi et El Jadida
DÉBAT
Paroles de l’Ordre des médecins Propos recueillis par Khaddouj Zerhouani
Organisation du système de santé au Maroc – Déséquilibre, dysfonctionnements et remèdes par Abeljalil Grefft Alami
Cité et santé – Hippocrate et la double auscultation par Mostafa Chebbak
Des airs, des eaux, des lieux : un traité d’Hippocrate – L’antique et ses modernités par Mostafa Chebbak
Que dit la loi sur la construction des cliniques ?
ARCHITECTURE
Le centre de rééducation fonctionnelle de Bouskoura par lto Dias
Une clinique d’oncologie tournée vers la vie par Nadia Jebrou
Une architecture organique au service d’une clinique à Rabat par Karima Slaoui
Une clinique au service de l’enfant par Khaddouj Zerhouani
Belle, conviviale et performante par Nadia Jebrou
ART
Khalil Laghrib – objets célestes, fracas émergés de l’oubli lointain par Bouchra Lahbabi
ENVIRONNEMENT ET PATRIMOINE
L’École Supérieure des Beaux-Arts – Vers la réhabilitation d’un site symbolique par Mostafa Chebbak
ESPACE ETUDIANT
Des écoles maternelles de qualité en milieu rural par Fatimzahra Tahiri Alaoui
BRÈVES