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AM N°17 Les maisons d’hôtes en médina

Ces vieilles maisons à vendre

 Vous voulez acheter une ancienne maison en médina ?

Rien de plus aisé. Vous levez le nez juste quelques minutes vers l’une des portes de la cité de votre choix comme le ferait n’importe quel touriste curieux. Immédiatement, vous êtes abordé par un personnage sérieux et multilingue, qui parvient à vous faire visiter de la maison la plus modeste au petit palais, grâce à un simple téléphone portable. Une fois les vénérables seuils franchis, vous êtes ébloui dans le patio par le lustre des émaux scintillants de zelliges patinés par le temps. Il n’y a plus qu’à négocier les prix. Toutes les maisons (ou presque) sont à vendre. Qu’elles soient cossues ou banales, elles sont à vendre. Vous pouvez même rencontrer la famille qui a hérité de ces lieux depuis des temps immémoriaux et qui a résolu de s’en défaire comme d’un poids encombrant. Vous remarquerez alors que les commissures des lèvres de l’aïeule présente encore sur les lieux, se plient d’un rictus réprobateur. Vous prendrez le thé dans une ambiance de formules d’accueil cérémonieuses, saturée d’amabilités désuètes qui auront pour don de vous mettre plutôt mal à l’aise. Mais vous achèterez malgré tout. Vous pourrez même à l’occasion vous faire passer pour le héros providentiel qui va sauver une vieille masure ayant cruellement besoin d’être restaurée, de la ruine. Habiter en médina n’est plus un rêve d’Orient inaccessible, c’est possible, c’est même voulu. En accédant à ce rêve devenu réalité, on rejoint toute une faune qui s’est constituée au fil du temps par des gens de moins en moins marginaux.

On en a pour preuve ces stars de show biz, ces artistes avant-gardistes, ces poètes de renom et ces intellectuels à l’engouement contagieux qui s’installent aujourd’hui dans les médinas. Ils ont troqué de luxueux appartements ou des villas qui feraient rêver n’importe qui pour venir véritablement s’enfouir en médina. Mais que diable viennent-ils chercher ? Ont-ils compris quelque chose qui nous échappe à nous autres, enfants du pays ? Cette fièvre acheteuse à l’égard de la maison traditionnelle commence à faire figure de vrai phénomène. Devons-nous l’accepter comme inéluctable, faisant partie d’une mutation globale ?

Acquis par recherche de profit avant tout, ces simples logements seront transformés en majorité en maisons d’hôtes. Et là, on risque de ne plus contrôler les nouvelles vocations de la médina. Déjà des perturbations liées à l’infrastructure non adaptée à ce nouveau mode de vie apparaissent. Les réseaux d’assainissement ne tiennent plus à force d’être sollicités par une salle de bain pour chaque chambre. Plus grave encore, les piscines en terrasse ou dans les patios qui créent de véritables perturbations.

Mais tout ceci n’est rien, comparé à ces effets imperceptibles qui sont d’ordre symbolique. La vie traditionnelle incluait des codes établis par nos aïeux ; on y recevait l’hôte selon des règles de convenances claires. Cette fameuse hospitalité consistait à refuser de faire payer l’invité (dif), à qui de surcroît on réservait toujours une réception princière. Un potlash. Le don y a un caractère sacré et constitue un défi de faire un don équivalent pour le donataire. Lorsqu’on reçoit, c’est son horizon géographique et symbolique qui s’élargit. Aussi le voyage comporte-t-il des escales chez les uns et les autres. Dans les récits de Léon l’Africain, Ziriyab ou Ibn Batouta, les hôtes reconduisent ces règles immémoriales qui se transmettent encore comme des coutumes et des comportements ataviques, de l’ordre de la bienséance élémentaire. En fait, si on laissait l’hébergement en médina suivre la tradition, on pourrait alors exiger en retour de chaque touriste des services bien plus coûteux.

En décidant de présenter les maisons d’hôtes dans ce numéro, nous savions que nous allions nous heurter à des notions contradictoires d’ordre formel et de fond. Le kitch importé dans l’imaginaire des « orientalisants » ainsi que le traditionnel revisité, avatar impropre de décorateurs du dimanche, rivalisent, et c’est immanquable, avec des travaux très sérieux de restauration à l’identique.

Le débat est ouvert.

Selma Zerhouni

Sommaire

 ÉDITORIAL

Ces vieilles maisons à vendre

 ACTUALITÉS

Abdeslem Faraoui, architecte contemporain sans compromis par Amine Cheddadi

Concours de l’IRCAM

 DÉBAT

L’AMHMS, une association fédératrice par Abd Elhak Aït Elharaj

Pour le développement de la réhabilitation à la place de la simple restauration par Noureddine Basset

Maison d’hôtes : un avatar orientaliste ? par Mostafa Chebbak

Repères de la mémoire (entretien avec Mohammed El Faïz)

La « gentrification » d’Essaouira sauvera-t-elle la médina ? par Eric S. Ross

Temps et architecture traditionnelle – Le Temps de l’artisan par Abdelhai Ben Ghazi

 ARCHITECTURE

Riad Fès, joyau de l’art islamique et d’une somptueuse civilisation par Bouchra Lahbabi

Dar Bennis devient Riad Shéhérazade par Najiba Skali

Dar les Cigognes – Pour une Architecture productrice d’émotions par Bouchra Bensaber

Dar Ness, un havre de paix au sein de la médina par Khaddouj Zerhouani

Dar Al Batoul – Confort et symbiose avec la médina de Rabat par Nadia Jebrou

Dar Nour par Louis-Elias Soubrier

 ART

Dar Cherifa, pure et authentique par Bouchra Bensaber

Farid Belkahia expose à Marrakech – Le foisonnement, l’équilibre et l’ordre cosmiques par Bouchra Lahbabi

 ENVIRONNEMENT ET PATRIMOINE

Coco Polizzi crée un workshop grandeur nature du concept « médina » par Fatima Amarti

 ESPACE ÉTUDIANTS

Trophée ROCA 2004 – Passerelle nécessaire entre industrie et université par Khaddouj Zerhouani

Maria Karim et le cinéma Médina par Omar Ghazouani

 BRÈVES 

CHRONIQUE

Jours disparus Par Mostafa Nissabouri