Logement social au Maroc
Cette tribune libre est une contribution de l’aNa, l’association des Architectes non Anonymes, partenaires permanents de la revue AM Architecture du Maroc. Cette fois-ci, ils ont confié la rubrique à un étudiant de l’École d’Architecture de Casablanca : Reda El Jadidi. Il s’insurge ici contre le logement social tel qu’il est conçu et qui constitue une bombe à retardement.
Au Maroc, le logement social a pour référence les politiques françaises lancées après la Seconde Guerre mondiale pour répondre, par une production de masse, au développement des bidonvilles. Le mal est à vrai dire récurrent au Maroc, car depuis le début du XXème siècle, les grandes villes, et plus particulièrement Casablanca, doivent faire face à l’afflux de populations rurales attirées par le développement des centres économiques du pays. Le terme “ bidonville ” est né à Casablanca et continue, près d’un siècle plus tard, à caractériser les zones urbanisées.
Ces bidonvilles, les autorités marocaines les considèrent comme des poches urbaines qu’elles tentent d’éradiquer. Or, ce sont des tissus habitables que le citoyen a investi pour répondre à ses besoins. Il s’agit d’une forme urbaine dont les caractéristiques programmatiques et spatiales répondent parfaitement à l’usage incluant, malgré l’absence de qualité constructive, de grands espaces dont l’organisation est décidée par l’habitant. Ils incluent notamment des espaces privatifs non négligeables (potager, jardin, poulailler, etc.), contrairement aux nouvelles habitations qui sont proposées.
Les autorités tentent de résorber ces formes urbaines, car elles les considèrent comme insécurisées et inappropriées au tissu urbain, pour proposer des logements accessibles en terme de prix. Dans une logique de production de masse, elles lancent depuis vingt ans des espaces résidentiels extrêmement denses et localisés en périphérie des villes. Le résultat est peu convaincant.
Le retour au bidonville
L’absence de mixité programmatique et de confort spatial intérieur ainsi que leur marginalisation en périphérie laissent présager des risques d’exclusion, de ségrégation sociale et de développement de la criminalité. On pourrait même craindre des révoltes au sein des populations à faibles revenus contre une société qui les a négligées et déplacées loin de toute infrastructure ou de tout équipement, leur refusant ainsi tout droit à la mobilité. Au final, il s’agit d’une production de cités-dortoirs, défaillantes en matière d’agencement, d’ensoleillement, de confort acoustique et thermique. On ne s’étonnera donc pas de constater que certains habitants reviennent vers le bidonville et abandonnent les habitations qu’on leur a proposées pour les revendre.
Le minimum aurait été de proposer un programme riche en termes d’équipements et de services, d’offrir un tissu habitable et animé par des espaces publics aussi qualitatifs qu’au cœur de la ville.
Entre les mains des promoteurs immobiliers et des entreprises de construction, ces logements sociaux, démunis de tout confort et de qualité spatiale et architecturale, sont le résultat des objectifs qui les sous-tendent : la rapidité d’exécution et de production. Grâce aux économies obtenues sur les matériaux et l’optimisation maximum des espaces, le prix de revient des logements étant inférieur au prix d’achat proposé, les gains peuvent ainsi aller jusqu’à 100 % sur chaque cellule d’habitation.
Tous coupables
Quant aux autorités, dont l’objectif de répondre à l’urgence est louable, elles ne prennent pas les mesures nécessaires pour imposer des normes claires et optimales en termes de mixité programmatique, d’accessibilité et de qualité constructive.
Qu’en est-il alors du rôle réel du maître d’œuvre, ou autrement dit, de l’architecte? Il est évident que l’architecte marocain, en se contentant d’empiler des cages à poules, n’exerce pas son rôle de concepteur et abandonne sa casquette de décideur en se pliant aux exigences du promoteur. Il cherche la satisfaction financière en optant pour la facilité. L’architecte marocain se bat tant bien que mal pour s’accaparer des projets de logements sociaux, non pas pour produire une réflexion riche et réfléchie sur le sujet, mais pour approuver les priorités des principaux acteurs.
Nous sommes aujourd’hui face à un réel danger, une bombe à retardement fabriquée par les propres acteurs du logement social. La mèche sera amorcée inéluctablement par l’habitant et l’architecte en sera indirectement responsable.
Certes, la politique d’urgence lancée par le gouvernement cherche à répondre à la grave carence en logements accessibles au plus grand nombre, mais l’urgence n’est nullement synonyme de négligence.
Posons une dernière question : les outils pour une production de logements sociaux attractifs sont-il seulement d’ordre programmatique? La participation et l’implication du citoyen dans la conception et la réflexion quant à son logement serait-elle une clef pour parvenir à des solutions partagées par tous?
Reda El Jadidi