Warsha Sahara, la modernité aux portes du désert
Des historiens affirment que les origines de la Renaissance, autrement dit, de la modernité, ne se trouvent pas en Italie, mais bien en Andalousie (Al Andalouss), spécialement pendant les dynasties Almoravides et Almohades. Le désert et son organisation sociale, économique et culturelle, en plus des nombreux défis posés par sa géographie sont, pour ceux-là, à la base même de la pensée architecturale moderne. C’est dans l’optique d’un regard croisé entre le désert et la modernité que l’atelier Warsha Sahara est né.
Le désert marocain présente de vastes étendues de dunes créant de multiples reliefs à l’aspect pittoresque et à la beauté somptueuse. Cette région qui a inspiré bien des créateurs à travers le monde, dont des écrivains, des poètes et des cinéastes célèbres, surprend par son intense luminosité et la somptuosité de ses sites, où la terre semble par endroits, se confondre avec la voûte céleste. Cependant, la force du désert et sa particularité ne s’arrêtent pas à son paysage. Les éléments qui constituent le mode de vie particulier de ses habitants ainsi que leurs us et coutumes ont déterminé les techniques de construction et les modes de transmission des savoirs et des savoir-faire, révélant un degré d’adaptabilité doublé d’une intelligence pratique exceptionnelle. Les techniques de construction traditionnelles adoptées dans le désert ne sont pas sans interpeller notre mode de vie moderne. En effet, le caractère bioclimatique de ces habitations, leurs matériaux extraits de la nature environnante et en symbiose totale avec elle, en plus de leur faible coût associé à une économie énergétique évidente, semble offrir une réponse quasi parfaite aux problèmes posés par le développement durable. Ce qui lance un véritable défi à nos sociétés modernes et peut inspirer les réflexions suivantes : si les solutions traditionnelles étaient appliquées à des problèmes modernes, deviendraient-elles des éléments contemporains ? En d’autres termes, le désert pourrait-il offrir la réponse à nos problèmes actuels?
Les techniques de la modernité et le désert
Pour Carlos Perez Marin, initiateur du Workshop Warsha Sahara organisé en septembre à l’oasis de Tighmert, la réponse ne fait aucun doute. Ce dernier propose d’entamer un dialogue sur ces questions en menant plusieurs expériences dans le désert marocain. Il va jusqu’à affirmer que le désert constitue une source d’inspiration et d’apprentissage pour mieux affronter les défis de la modernité. Ancien professeur vacataire à l’École Nationale d’Architecture de Tétouan (ENAT) pendant trois ans, Carlos Perez Marin a animé plusieurs ateliers dans le sud marocain en compagnie de ses étudiants. Lors de ces voyages d’études et de découvertes, il a constaté, avec étonnement, l’abandon progressif et presque inexorable des systèmes constructifs traditionnels, fruits d’une tradition millénaire, au profit de constructions en béton d’apparence « moderne ». Ces nombreuses observations sur le site et les échanges avec ses habitants l’ont amené à relever d’importants changements dans les mœurs et les habitudes des populations du sud. Réputées pour leur attachement à la terre et à la vie en communauté, elles connaissent l’apparition de nouvelles formes d’habitat individuel au confort aléatoire et à l’esthétique commune. L’usage du béton étant peu adapté au climat particulier de la région et les hausses importantes de la température plusieurs mois par an, obligent les adeptes de ces constructions nouvelles à quitter leur habitation en été pour s’installer avec leur famille sous des tentes extérieures. La préservation des savoir-faire traditionnels en matière de construction se présente dès lors comme une nécessité. Bien que les recherches de terrain aient mis à jour des problèmes récurrents liés à la construction en terre, dont le manque d’étanchéité des toits et l’usage structurel du bois de palmier, il apparaît évident que les techniques modernes se révèlent sans efficacité lorsqu’elles ne respectent pas les contraintes du désert.
Quelle approche contemporaine de la terre ?
Le workshop Warsha Sahara initié par Carlos Perez Marin, qui s’est déroulé à Tighmert en compagnie d’une étudiante de l’ENA de Tétouan, d’une lauréate de l’École Nationale des Beaux-Arts de Tétouan et de deux artistes, dont une Française, s’est donné comme objectif principal le développement d’une approche contemporaine de la terre par l’amélioration de ses techniques de construction. Située à 17 km de Guelmim, dans la région de Guelmim-Es-smara, Tighmert est une oasis située à la porte du désert. Partant du constat que toute approche contemporaine doit prendre naissance dans ses racines, les participants à cet atelier ont pu apporter leur aide à la construction d’une extension d’une maison d’hôtes dans l’oasis, en dialoguant avec les ouvriers locaux auxquels ils ont soumis plusieurs propositions d’amélioration de leurs techniques de construction pour assurer une meilleure solidité de la structure. Une séance programmée pour la fabrication des briques en adobe ayant été annulée pour cause de pluies, l’équipe a eu l’opportunité de construire un mur en pisé, selon les techniques en usage à Tighmert. Le séjour dans l’oasis a permis aux participants de prendre connaissance des systèmes d’irrigation traditionnels, qui déterminent non seulement l’organisation spatiale du territoire, mais également son fonctionnement économique et social.
La participation de l’artiste Rachid Ouhni était liée à l’espace urbain (ou plutôt oasien). Avec un groupe d’enfants de l’oasis, il a tenté de mettre en lumière leur occupation de l’espace par l’activité ludique. La première proposition a été une course de bateaux. Après la construction de petites embarcations en bois, le groupe s’est lancé à la recherche d’un canal, ce qui a permis la découverte du mode local de distribution de l’eau. Les enfants ont également procédé à la fabrication de maquettes représentant des maisons en terre, et cela, sans consignes préalables. Ils ont fourni des explications sur l’usage de la végétation, l’emplacement des patios et les brise-soleil. Il leur a également été demandé de fabriquer des maquettes de maisons à partir de plans qu’ils avaient eux-mêmes dessinés. Tout cela a constitué une excellente initiation aux problématiques des modes de construction locaux.
Plusieurs pistes de réflexion ont été évoquées lors du séjour de Warsha Sahara grâce à la rencontre avec les habitants de l’oasis et des villages visités. Ces dernières seront explorées dans les prochains ateliers qui auront lieu à Zagora, Tinejdad et Tissardmine (près de Merzouga). L’objectif étant de s’inspirer du désert comme une source de modernité, en développant des expériences locales liées à l’architecture, l’urbanisme, le développement durable, l’art contemporain, les structures sociales, l’environnement, le cinéma ou encore la musique.
Nadia Chabâa