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ARCHITECTURE ET IMAGE DE MARQUE

L’esthétisation du monde transforme les logiques productives. Le temps n’est plus à la production industrielle et culturelle qui renvoyait à des univers séparés, radicalement inconciliables, l’un prônant le produit standard de masse, l’autre celui du luxe et du

superflu. Nous assistons à une époque où les systèmes de production, de distribution et de consommation sont imprégnés, pénétrés, remodelés par des opérations de nature fondamentalement artistique. Si l’on admet que le style, la beauté, le bon goût s’imposent chaque jour davantage comme des impératifs stratégiques des marques, on comprend alors que c’est un mode de production esthétique qui définit le capitalisme d’hyperconsommation. Les industries, le design, la mode, la publicité, la décoration, le cinéma, le show business… créent en masse des produits chargés de séduction. Ils véhiculent des sensibilités et agencent l’univers esthétique éclectique des styles qui s’y déploient. Le capitalisme artiste qu’évoquent Gilles Lipovetsky et Jean Serroy in l’esthétisation du Monde, se donne comme LE système où l’innovation créative tend à se généraliser dans un nombre croissant de sphères. L’architecture n’est pas en reste. Elle a pris le relais à partir des années 90, avec des stars comme Frank Gehry, Libesking, Zaha Hadid, Jean Nouvel…qui consentent à se faire «marketer» et offrent leurs signatures dans des œuvres parfaitement typées dans le monde entier. Dans ce numéro, nous présentons des marques à travers le musée Mohamed VI de Rabat, la tour Maroc télécom, les boutiques de la maison LVMH, Fauchon… Le musée véhicule une image de marque endogène liée au savoir faire artisan du pays, la tour se distingue par sa hauteur et son approche internationale, les boutiques comme autant d’enseignes distinctes qui suscitent le voyage dans la mondialisation. Nos villes, quant à elles, sont traitées comme un produit marketing et recherchent leur ADN grâce à une communication dédiée qui s’attelle à trouver des vocations spécifiques pour un idéal de vie. Casablanca est industrielle à la pointe de l’innovation, Rabat sera culturelle, Fès spirituelle, Meknes agricole… À coup de slogans montrant le bonheur futur, les affiches sont pléthore. Ceci pour plaire à ces investisseurs qui s’annoncent avec fierté comme des relais des collectivités locales. Ils arrivent pour ériger les monuments de demain, gérer le patrimoine historique, construire les équipements de prestige des grandes cités et réaliser avec soins les espaces publics. Les mairies cèdent leurs territoires pour se concentrer péniblement sur la gestion du quotidien urbain. Or, bien souvent, ce sont les investisseurs qui vont trancher sur l’image définitive de la cité, forts des financements qu’ils apportent. Et Casablanca a chargé les SDL (société de développement local) de mettre en application et de veiller à maintenir l’équilibre prôné par le plan de développement. Il est temps de s’interroger sur les risques pour les habitants d’un accueil aveugle des investissements. À voir le centre urbain de Londres, entièrement investi par les grandes enseignes qui nettoient, éclairent, structurent l’espace public mais… le privatisent, l’on réalise que la population locale a vu disparaitre ses repères, son logement (hors de prix), ses habitudes de consommations et son cadre de vie. Car le paradoxe qui s’impose se situe entre l’exigence des dimensions créatives, intuitives, émotionnelles du marketing, et celui de la réalité de l’habitant, sa sécurité, la propreté des rues, ses soins. Parfois contraints de déménager dans les marges de la ville, le risque de vider des quartiers entiers de ses anciens habitants au profit des investisseurs est à étudier en parallèle du fonctionnement de la stratégie marketing.

Selma Zerhouni