LA GARE DE CASA PORT VERS UNE MOBILITÉ MULTIMODALE
ARCHITECTES
AREP
GROUPE 3 ARCHITECTES
L’inauguration de la nouvelle gare Casa-Port ouvre dans l’histoire de l’ONCF une nouvelle ère. Elle fait entrer l’entreprise nationale dans la cour des grands opérateurs de la mobilité et du multimodal. La gare historique, signée Alexandre Courtois, avait un rôle secondaire, quelle qu’ait été sa qualité architecturale. Elle participait à la coupure de la ville. Le nouveau bâtiment réconcilie la ville avec la mer…
Les questionnements préalables au projet ne manquaient pas : fallait-il déplacer le bâtiment, l’aligner le long de l’artère comme l’ancienne gare ? Questions élémentaires mais réponses qui relèvent d’une vision : quels sont les grands concepts dont la gare du XXIe siècle est porteuse ? Au-delà du mythe du voyage et de l’évasion de la gare du XIXe siècle, quelle histoire raconte aujourd’hui le train et le bâtiment qui l’accompagne ?
Mariage réussi
L’ONCF a fait appel à AREP, l’agence experte dans le domaine, filiale de la SNCF, auteur de grands nombres de gares TGV en France et dans le monde. Elle l’associe d’office à une jeune agence marocaine Groupe 3 qui s’était fait remarquer en commettant avec le succès que l’on sait la gare d’Oasis. Ce mariage de raison, plaçant sur un pied d’égalité les deux agences, allait fonctionner en parfaite symbiose, telle que seul sait en produire un partenariat heureux.
Enjeu urbain
Etienne Tricaud, l’un des deux fondateurs de l’agence AREP, n’a eu aucun mal à convaincre ses interlocuteurs, à la lumière de l’évolution future du port qui doit s’ouvrir sur la ville grâce à la Marina et au déplacement des fonctions logistiques et portuaires vers le nord, que la future gare devait être conçue comme une véritable rotule urbaine, un espace de transition entre la ville et le port, marquant comme d’autres avant elle (Gênes ou Marseille par exemple) la réconciliation de la cité avec la mer. Le nouvel équipement doit être ainsi vu comme un élément du dispositif urbain dédié à la mobilité, une composante essentielle des villes d’aujourd’hui. La gare conserve sa localisation mais recule par rapport au boulevard pour dégager un vaste parvis bordé par l’entrée du port, la Capitainerie, le boulevard et le bâtiment lui-même. Les deux agences travaillent sur des dessins à la fois urbains et architecturaux prenant en compte les questions sous-jacentes : comment la ville va-t-elle évoluer autour et comment les différents territoires vont-ils converger ?
Huit ans pour se concrétiser
En phase de conception, le projet subit une modification de taille : on décide d’ajouter à l’équipement ferroviaire une armature commerciale. Le développement du quartier à venir est en effet retardé en raison d’un contexte économique défavorable. La gare de Marrakech a eu le temps, en revanche, de démontrer la pertinence de cette nouvelle dimension : la gare peut être aussi un outil économique difficilement négligeable. La gare va vers la ville, mais on attend aussi aujourd’hui que la ville vienne vers l’utilisateur et offre à celui qui passe matin et soir ce dont il a besoin. On reprend ainsi toutes les études : le bâtiment de plain-pied devient un bâtiment à trois niveaux, celui des quais, un sous-sol et entre les deux une mezzanine, auxquels s’ajoutent deux niveaux de parking.
Quand enfin le chantier peut débuter, la géologie particulière de Casablanca impose son rythme : roches fracturées, strates en sens oblique, glissements de terrain mangeant en permanence les limites, présence de la nappe phréatique (point le plus bas de Casablanca) nécessitant un pompage continu et, cerise sur la gâteau, des intempéries calamiteuses provoquant un effondrement spectaculaire du sol. Sous la superstructure légère et aérienne, se cache un gros œuvre de fondations long et compliqué constitué de 14 trames en précontraint.
Maîtrise d’œuvre globale
Si malgré les aléas, le projet n’a pas capoté, c’est qu’il a tiré sa force et sa cohérence de la mise en place d’une maîtrise d’œuvre soudée qui a reçu une mission globale. Non seulement les équipes d’architectes ont travaillé de concert à toutes les phases de conception et de réalisation, mais elles avaient aussi la responsabilité des bureaux d’études. Fait rarissime : architectes et ingénieurs ont travaillé en permanence face à face, résolvant les problèmes en temps réel, crayon à la main.
L’interface entre le sous-œuvre (dont avait la charge Groupe 3), autrement dit un ouvrage en béton plutôt grossier, et l’acier qui exige précision et finesse (AREP) a pu être gérée à chaque étape moyennant du temps et du dialogue. Petit détail à prendre en compte : les fondateurs d’AREP sont des X Ponts et Architectes. La rivalité historique entre les deux corps leur a toujours passé au-dessus de la tête. Autre intelligence d’organisation : Groupe 3 a eu pour interlocuteur, non pas AREP International mais sa filiale AREP Méditerranée, forte de l’expérience des gares du Sud de la France et en particulier celle de St Charles à Marseille, assurant ainsi une proximité et une réactivité plus efficaces. Etienne Tricaud, riche de sa culture ferroviaire et de son expertise, assurait l’interface entre l’ensemble de la maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’ouvrage.
Lisibilité des espaces et vérité constructive
Aujourd’hui toutes les difficultés du chantier sont oubliées. Ce qui se donne à voir c’est le joyau que constitue la superstructure : entre la ville et le train, une vaste toiture pour abriter les cheminements, de grandes parois de verre qui assurent la continuité de l’espace urbain, un atrium fendant l’espace par le milieu développant trois niveaux de commerces et de services. Le niveau de référence est celui de chacun : mêmes matériaux, même lumière naturelle, un traitement identique à chaque niveau. Le lieu est apaisant grâce à la maîtrise de la géométrie, des matériaux et de la lumière.
La vérité structurelle comme celle des matériaux, bois, verre, acier utilisés en masse, sans enrobage pour ne pas dire cache-misère, se donnent à lire : « tout est apparent, souligne Omar Tijani de Groupe 3, ce qui chez nous est rare ». Ce sont des éléments clefs qui contribuent à la lisibilité et la sérénité du lieu.
Chaque élément de la charpente métallique a été dessiné et réalisé spécialement. Le toit est supporté par de fines colonnes à huit branches constituant un système de poutraison à la géométrie très ordonnancée, un dispositif rationnel et simple, faisant référence à la tradition arabo-andalouse. De même la façade ouest est-elle protégée d’une double peau en béton fibré en forme de moucharabieh.
« On s’inscrit dans la tradition tout en faisant évoluer les modes de vie. On met en œuvre des signes qui parlent à l’inconscient collectif tout en s’adaptant à la modernité et à la spécificité de la mobilité d’aujourd’hui selon une dialectique subtile » explique Etienne Tricaud. Quant à Groupe 3, l’achèvement de ce chantier représente pour l’agence une étape décisive dans son évolution : « Ce binôme nous a fait passer une étape. Nous collaborons maintenant avec de grandes agences, cet apprentissage nous a donné des clefs pour ouvrir d’autres portes… », commente sobrement Omar Tijani.
- Gare de Casa Port en construction- Detail d’un poteau exterieur et du moucharabieh en panneaux prefabriques DUCTALR – (mai 2014)
- Gare de Casa Port en construction (Maroc) – Detail exterieur des panneaux prefabriques DUCTALR du moucharabieh (juin 2014)
- Gare de Casa Port en construction (Casablanca, Maroc) – La facade vitree interieure (juil. 2014)
- Gare de Casa Port en construction (Casablanca, Maroc) – Vue de nuit (juil. 2014)
Architecture textile
L’architecture textile est une technique éprouvée dans le monde, mais elle n’a commencé à prendre sa place au Maroc que depuis une décennie.
Serge Ferrrari est l’un des principaux fournisseurs de ces matériaux composites souples, complexes métallo-textiles, qui permettent aux architectes de concevoir des abris légers et élégants alliant à la fois esthétique et protection. Les quais de la gare de Casa-Port, après celle de Marrakech, en bénéficient mais chaque projet fait l’objet d’études particulières et de solutions différentes pour la mise en œuvre.
L’entreprise Ametema est le spécialiste au Maroc des grandes surfaces et, en s’appuyant sur son bureau d’études intégré, a mis au point un système de tension par ressorts.
Dans ce projet, le poteau est à la fois support du textile et du caténaire. Il fallait ainsi concilier le système d’évacuation des eaux pluviales et la présence de câbles conducteurs.
Pour occulter ces dispositifs techniques, la solution est apportée par une forme de parapluie inversé faisant en sorte que le drapé continu du textile masque la structure.
Entre poteaux, le textile est tendu aux quatre extrémités et en partie médiane afin de ramener le point bas vers les poteaux.
Moucharabieh en béton fibré
Le béton fibré est un nouveau béton architectonique à haute performance, composé d’une matrice cimentaire fibrée. Il permet des constructions plus rapides, moins exigeantes en termes de maintenance avec un impact sur l’environnement réduit. La double peau de la façade ouest offre une réinterprétation contemporaine du thème du moucharabieh.
Les performances mécaniques du Ductal ® ont permis d’obtenir la dentelle voulue par les architectes et, pour respecter son aspect flottant, un système de structure suspendue en porte à faux a été mis au point par la société Bearch, composé de tirants diagonaux assurant la reprise de charges. La structure a pu ensuite s’adapter pour recevoir chaque panneau doté de quatre points de fixation.