LE PAVILLON MAROCAIN INVENTE LE PISÉ DU FUTUR
ARCHITECTES
TARIK OUALALOU,
LINA CHOI
C’est sur le plan technique que les architectes ont choisi de rendre hommage aux savoir-faire anciens du Maroc. En effet, la maçonnerie en terre crue n’a pas évolué depuis l’aube des temps. Au contraire, les outils comme les banches pour pisé ou les marteaux pour damer semblent moyenâgeux à voir l’effort que nécessite la réalisation du mur en pisé, et le temps de séchage qui lui est nécessaire. C’est en cela que l’ingéniosité déployée est exemplaire et montre les territoires qui restent à défricher dans notre patrimoine bâti.
Nombreux sont ceux qui ont voulu confiner ce matériau dans son expression usuelle, défendant la matière et la manière, sans tenir compte de la pénibilité. En détournant le principe de « monter » en vertical par celui de « cadrer » le pisé en bois, nos créateurs ont proprement révolutionné la tradition. Cette innovation notable issue du couple maroco-japonais montre la direction vers un développement durable des savoir-faire ancestraux. Car si l’on venait à réfléchir à toutes les situations sophistiquées et écologiques de notre patrimoine traditionnel, on pourrait appliquer cette recherche expérimentale au « maadas », « chemassiates », « sequaias », « ghettaras » et autres techniques vernaculaires offrant une qualité bioclimatique hors pair. Intégrés dans les maisons banales autant que dans les kasbahs et les vestiges, l’intégration naturelle au site a exigé des anciens bâtisseurs toutes sortes d’artifices. Des solutions examinées par des chercheurs sans jamais les revisiter sérieusement. Pour l’exposition universelle où il s’agissait de faire vite et bien, le défi de construire une Kasbah était pour le moins audacieux ! Dépayser des millions de visiteurs par une structure monumentale a été un coup de maître. Les faire traverser du nord au sud tout un pays en s’accommodant d’une surface de 2 898 m2 relève de la prouesse. Car ce sont cinq espaces qui sont traversés par cinq portes métaphoriques ou matérielles qui vous transportent dans des régions de la Méditerranée, du Centre, de l’Atlas, de l’Atlantique et du grand Sud.
Les architectes ont donc fabriqué de grands cadres en bois de 2m x 2,5m remplis de pisé et empilés comme des lego. Enfantin direz-vous, mais il fallait y penser ! Résultat, ils ont réussi à donner de la majesté à l’édifice avec des hauteurs de 6 à 12m. Sans béton ni métal, le pavillon marocain à Milan tient la dragée haute à toutes les avancées techniques. Il se pavane sur le thème des saveurs, honorant
les savoir-faire locaux, la biodiversité, les terroirs par les produits cosmétiques et de bien-être et l’héritage culinaire célébré par le chef Moha Fedal. À l’extérieur, un cours d’eau vient rafraîchir l’ensemble en passant par l’oliveraie, l’orangeraie, la palmeraie… Tarik Oualalou et Lina Choi avaient déjà enchanté Paris sur le parvis de l’Institut du Monde Arabe avec la tente nomade en kit. Ils continuent leur démarche de chercheurs développeurs avec la terre crue sans oublier que le bâtiment de l’exposition de Milan peut revenir à la terre sans mal puisqu’il est biodégradable. De plus, les fentes permettent une aération de qualité et dispense de climatisation grâce à une régulation thermique naturelle. Le couple a su trouver dans la tradition une source d’inspiration inépuisable, au-delà de la forme et de la décoration. C’est en cela qu’ils deviennent des gardiens précieux de la tradition puisqu’ils interviennent pour la préserver, en lui offrant les moyens d’un avenir assuré.