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LE MAUSOLÉE MOULAY IDRISS À FÈS, UNE RESTAURATION MODÈLE

Situé au cœur de la cité ancienne, le Mausolée abritant le tombeau du Saint fondateur de la ville de Fès, Moulay Idriss Al Azhar, n’a pas échappé à l’implacable outrage du temps : fissures menaçant les structures, usure des décors et dégradations diverses. Heureusement, une vaste opération de restauration, confiée à l’architecte Rachid El Haloui en 2011 a redonné à ce monument unique tout son lustre d’antan.

Au-delà du charme désuet qui se dégage de ses ruelles, de ses souks, de ses maisons et de ses monuments, la Médina de Fès demeure aujourd’hui un modèle d’authenticité et d’harmonie. Elle se caractérise par un tissu urbain dense, homogène et continu, et par une parfaite adéquation de son urbanisme à un mode de vie et à une société structurés. Au fil du temps, si la cité a su préserver son âme, les mutations sociales, les émigrations et les immigrations, le tourisme et les interventions indélicates ont contribué peu à peu, à dénaturer l’aspect physique de ce précieux témoignage du passé. Des restaurations maladroites, ont pu faire perdre au Mausolée Moulay Idriss une partie de son éclat, alors même qu’il est  considéré comme le plus imposant monument de Fès. C’est ainsi que, sous la houlette du Souverain, des travaux de restauration et de restructuration ont été lancés dès avril 2011, après près d’une année d’études et de recherches. La singularité du monument, la complexité de ses ouvrages, la richesse de ses décors et sa symbolique sociale dictaient une démarche de restauration dans le plus grand respect de la tradition et des normes reconnues en la matière.

Bref rappel historique

Lorsque Moulay Idriss s’installa sur la rive gauche de l’Oued al Kabir, vers 808, il dressa une tente sur l’emplacement de l’actuelle Dar Qaïtoune. Il est couramment admis qu’une des toutes premières constructions de Moulay Idriss sur la rive des Qairouanais fut Jamaâ Chorfa et ce, probablement sur l’emplacement du mausolée actuel.

En tout état de cause, c’est après la disparition de Moulay Idriss qu’un premier mausolée aurait été construit. Par la suite, cette réhabilitation du culte de Moulay Idriss aurait conduit à l’agrandissement du petit cimetière originel qui jouxtait le mausolée par les Saâdiyiîne au XVIème siècle. C’est le puissant Sultan Moulay Ismaïl (1672 à 1727) qui  fera procéder de 1717 à 1719 à la construction de la qoubba telle qu’elle se présente aujourd’hui.

Description du Mausolée

Le mausolée Moulay Idriss est situé au cœur de la Médina de Fès, sur la rive gauche de l’oued Fès, rive qui a prévalu en tant que centre de la Médina. L’ensemble formé par le mausolée de Moulay Idriss, la mosquée Qarouiyine et la Qissariya Al Kifah située entre les deux, constitue le centre névralgique de la cité ancienne. Ce centre est renforcé par la présence des madrassat (Attarine, Seffarine, Mesbahiya, Cherratine), de fondouqs célèbres (Chemma’ine, Staouniyène…) et des rues commerçantes très animées. Le mausolée se présente sous la forme d’un quadrilatère de 39,50 mètres dans le sens Nord-Sud et de 37,00 mètres dans le sens Est-Ouest. Il est composé de huit travées quasi égales dans chaque sens avec quelques irrégularités : les dimensions des travées varient selon les différentes parties. L’étude approfondie du mausolée a permis de mettre au jour des systèmes constructifs constituant des solutions ingénieuses aux problèmes qui se sont posés aux bâtisseurs. Ces dispositifs sont riches en enseignement et méritent d’être analysés.

Les travaux de restauration

La responsabilité de la restauration d’un monument qui représente autant de symboles et qui revêt une telle importance au niveau national n’est pas des moindres à gérer.

Un maître-mot a conditionné toutes les démarches : la prudence.

À chaque étape, une remise en question du savoir-faire, des méthodes et des approches a été nécessaire. Il n’est pas évident de comprendre la logique, les logiques du monument et les différentes étapes de sa genèse. La rareté des documents, l’impossibilité de faire des fouilles vu que le sol du mausolée est tapissé de tombes et la contradiction de certains témoignages n’ont pas facilité la tâche. Les seules valeurs sûres et fiables ont été l’observation et l’analyse des différentes composantes du bâtiment.

Les principes de restauration adoptés pour le mausolée Moulay Idriss ont été naturellement ceux de la préservation systématique du caractère des lieux et la remise en état à l’identique des ouvrages dégradés, ou ayant fait l’objet de restaurations maladroites, voire de transformations abusives. De même, les matériaux utilisés ont été choisis avec la plus grande rigueur parmi les meilleures productions locales, voire étrangères comme l’importation de pigments naturels de France pour la confection des peintures traditionnelles. La mise en œuvre des matériaux a été faite en totale harmonie avec les méthodes traditionnelles, dont certaines ont été réactivées à l’occasion de cette restauration, comme la mise en place des tirants en bois par exemple, ou la restauration des marbres. D’autres techniques ont du être mises au point, dont la consolidation des pièces défectueuses dans le cadre de la restauration des berchlat (les nefs), par exemple.

Aucune décision n’a été prise de façon unilatérale. Lorsqu’il s’est agi d’opérer des choix décisifs, la concertation avec les maâlmine a permis de clarifier les problématiques et la collégialité a permis de fédérer les avis. Ainsi, les décisions subjectives ont pu être  évitées ou minimisées. En cas de doute, ce sont les usages qui régissent les métiers qui ont prévalu et non les goûts ou les désirs personnels. D’une manière générale, les travaux de restauration du mausolée Moulay Idriss ont concerné tous les corps de métiers. Voici un résumé des principales interventions, par corps de métiers :

  1. Le Gros œuvre :

Les interventions en matière de gros œuvre ont été nombreuses. Elles ont consisté en :

– La consolidation ou la reconstruction des parties dégradées, voire menaçant ruine, comme le mur mitoyen avec la qissariyat Al Kifah, une partie de jamaâ Lamqalqa, dar Qaïtoune et les boutiques y attenant, les masriat, les berchlat des salles de prière et la coupole des latrines, ainsi que de nombreuses fissures et dégradations sur l’ensemble du mausolée. À noter des reprises en sous-œuvre sous Jama’ Lamqalaqa et sous les boutiques de Derb Souani, ainsi que la reconstruction d’une partie de la voûte de l’oued sous l’une de ces boutiques.

– La suppression de rajouts incongrus comme l’extension d’une masria, qui avait défiguré la coupole, des latrines ou encore de certaines cloisons dans la mosquée Jamaâ Lamqalqa,

– La mise en évidence de certains éléments constructifs qui étaient cachés sous les enduits (exemple : l’arc de décharge du passage de Bab Tabbaline à Bab Loufa et à l’intérieur de la mosquée), – La réfection de l’étanchéité sur l’ensemble des terrasses et des toitures, à l’exception de la qoubba,

– La reprise générale des enduits,

– La reconstruction de l’escalier d’accès au tanefikh de la qoubba, en terrasse,

– La reconstruction du plancher haut de l’abattoir et la confection d’une halqa traditionnelle,

– La réfection du réseau d’égouts,

– La construction d’un mur de séparation de la terrasse des latrines avec la terrasse du fandaq voisin.

– La reprise générale du sol de Jamaâ Lamqalqa.

  1. Le Zellige

Les revêtements en zellige ont entièrement été restaurés soit :

– par tanebile, c’est-à-dire par remplacement des pièces manquantes ou dégradées (exemple des tombes),

– par dépose et repose du zellige non dégradé mais qui n’adhère plus à son support (exemple du pavillon des ablutions),

– par consolidation du panneau à l’aide d’un coulis de mortier bâtard entre le panneau et son support (exemple de la qoubba),

– par remplacement total du zellige quand il est trop dégradé (exemple du sahn, de l’encadrement au sol de la fontaine centrale de Jamaâ Lamqalqa et de la qoubba).

De nouveaux revêtements en zellige ont été créés pour parfaire l’harmonie des locaux (salles des prières), ou pour valoriser un espace (Jamaâ Lamqalqa).

  1. Les marbres

À l’exception de rares cas où le marbre a été remplacé (sol de la fontaine centrale du sahn, quelques seuils..), les éléments en marbre ont été principalement restaurés. Les surfaces ternes ont été polies (fontaine, colonnes…) et les éclats ont été colmatés par un mastic fait de liant et de poudre de marbre (fontaine, chapiteaux…).

  1. Les plâtres

Les plâtres dégradés ont été re-sculptés. Dans les cas de trop grande dégradation, les surfaces ont été replâtrées et redessinées avant le travail de sculpture. Les éléments en plâtre existent dans tous les espaces du mausolée et du horm. Sous forme de frises, d’arcatures ou de larges surfaces, les plâtres, très vulnérables à l’usure du temps ou du contact humain, ont tous reçu un traitement plus ou moins important.

  1. Les bois

Les interventions sur les bois sont diverses :

– Les éléments de structures (qantrat, gaïzat, ouarqat, hammar, qarq…) ont nécessité des consolidations ou un remplacement total, compte tenu de leur rôle porteur et selon leur état de dégradation,

– Les portes et fenêtres ont également été consolidées et leurs motifs refaits. Certaines  portes ont nécessité la réfection de certains montants et/ou traverses, qui étaient très dégradés (exemple de la grande porte de la qoubba sur le sahn),

– Les décors sculptés et/ou peints ont été préservés, consolidés par collage de nouvelles pièces de bois. Dans quelques cas, ils ont été re-sculptés et/ou repeints (gaïzat, ouarqat, izar, auvents, portes, tombeau de Moulay Idriss…).

  1. Les peintures et les vernis

Les peintures décoratives ont été préservées autant que possible. Les éléments peints avaient reçus plusieurs couches de peintures décoratives, souvent différentes les unes des autres. Généralement, c’est la dernière couche qui est retenue comme couleur originelle. Pour reprendre les peintures, des pigments naturels ont été importés de France. Des vernis mats ont été appliqués sur les bois peints et même sur certains éléments en bronze pour les protéger contre l’oxydation.

  1. Les ferronneries et les bronzes

La restauration des ferronneries n’a concerné que quelques pièces isolées, qui en outre ne présentaient pas de difficultés particulières. Il s’agit principalement des grilles de protection des fenêtres hautes de la qoubba, des latrines et de quelques ouvertures éparses. Les grilles du Sahn réparties de part et d’autre du minaret n’ont nécessité qu’un simple décapage avant peinture. Quant aux grilles en bronze, elles ont nécessité des interventions plus délicates : la grille du tombeau avait perdu des morceaux entiers qui ont du être refaits, non sans mal. La grille séparant la salle de prière des hommes de la qoubba était peinte en doré. Une fois décapée, elle a retrouvé son éclat naturel. Les petits éléments en bronze au dos de la qoubba (plaque calligraphiée, encadrement de l’ouverture du tronc) ont nécessité un simple nettoyage avant lustrage. Les jamour du minaret et de la qoubba ont été restaurés et leurs parties perdues refaites à neuf. Il est bon de savoir que le croissant au sommet de la qoubba mesure quinze millimètres d’épaisseur. Il pourra donc résister aux intempéries, durant plusieurs décennies.

  1. L’électricité, la lustrerie et la mise en lumière

La restauration du mausolée a été l’occasion de procéder à la reprise totale de l’installation électrique et la mise en place de lampes basse consommation. Un élément nouveau a consisté à procéder à la mise en lumière des locaux et de leurs décors. Le mausolée n’était éclairé que par quelques lustres en mauvais état, dotés de lampes à incandescence qui consommaient beaucoup d’énergie. Les décors n’étaient pas bien éclairés et dans certains cas, les éclairages étaient plutôt aveuglants. Une étude détaillée de l’éclairage a abouti à une véritable mise en valeur des différents décors et des plafonds notamment berchlat, qoubbat… Des spots et des projecteurs à LED ont été disposés de façon adaptée à chaque cas pour permettre une meilleure appréciation des décors qui étaient souvent invisibles.

  1. L’eau

Outre la galerie d’amenée d’eau et la remise en fonctionnement de l’alimentation du Mausolée par sa source, l’eau a fait l’objet d’attentions particulières : restauration des fontaines intérieures (fontaine centrale du sahn, pavillon des ablutions, latrines jama’â Lamqalqa, dar Qaïtoune) et des fontaines extérieures, évacuations des eaux usées, descentes des eaux pluviales…

Il n’est pas une visite de chantier qui n’ait permis de découvrir un petit détail, insignifiant à première vue, mais qui participe de la beauté de l’ensemble du mausolée. De nombreuses instructions ont ainsi été données au  fur et à mesure des opérations de  restauration pour la correction, la reprise ou le remplacement de tel ou de tel élément. Il faut croire que la restauration du mausolée Moulay Idriss de Fès a créé une motivation telle que l’investissement de l’architecte a été total.