AM N°45 Histoires de bain

Les thermes, les hammams, les salles de bains et les spas sont les espaces où les symboles mettant le corps au centre des préoccupations de l’homme sont, sans doute, les plus puissants. « *La vertu purificatrice et régénératrice du bain est bien connue, et attestée, au profane comme au sacré, par les usages apparentés chez tous les peuples, en tous lieux et tous temps ». On ne peut donc aborder ces lieux sans parler d’immersion dans l’eau, de la détente que cela procure, voire de la tendresse et du ressourcement dans son emploi thérapeutique.

Au Maroc, chacun peut évoquer ses souvenirs, où le hammam accueillait sa nudité d’enfants et d’adultes complètement détendus, sans complexes, dans un usage qui semble provenir d’une lointaine mémoire collective. C’est pour cela que nous avons convenu de faire de ce numéro un parcours dans l’histoire du bain. Quand bien même l’espace salle de bains individuel serait fréquenté quotidiennement, il n’empêche aucunement que la fréquentation du hammam demeure rituelle.

La vie moderne dans les grandes villes s’accompagne de stress et l’on a vu, en une démarche compensatoire, émerger de nombreux hammams réactualisés. Les hôtels abritent des spas conformes aux normes internationales, lieux de bien-être qui proposent l’abandon du corps à des mains expertes. La vacuité de l’esprit que cela autorise est devenue le remède par excellence à nos vies trépidantes.

Cette tendance a vu le jour au début de notre siècle et semble s’accélérer. Que signifie-t-elle ? Est-ce un retour vers les thermes d’antan découverts à Banassa, Volubilis ou Aghmat ? Un repli, une commémoration, une évocation d’une mémoire oubliée. Si c’était le cas, bien du travail attend encore les concepteurs de nos villes, resorts touristiques, ou urbanisations de toutes sortes. En effet, les architectes appliquent, sans autres considérations ; le modèle occidental alors qu’il semble bien éloigné de notre culture traditionnelle. Imaginons qu’en s’appuyant sur notre passé aux coutumes encore vives, nous réinventions une nouvelle façon de prendre soin de son corps. Qu’au lieu de réaliser une salle de bains par logement, nous proposions des lieux conviviaux par groupement d’habitations pour reconduire cette habitude persistante depuis les thermes de jadis. Et que nous options pour aller à l’encontre de cet individualisme où l’on se sent si mal à l’aise pour le hammam collectif dans les ensembles résidentiels.

Nous ferions alors des économies substantielles en matière de consommation d’eau en reconduisant notre culture ancestrale. Car l’usage en communauté du bain pourrait alors être confié à des coopératives chargées du bien-être des habitants et permettrait de mettre en commun le financement pour un bel espace. La pratique écologique qui utilise les techniques de pointe pour accueillir la chaleur grâce au soleil et la garder grâce au savoir-faire des artisans de chebka serait optimisée. Les baignoires seraient remplacées par un point d’eau adapté uniquement aux ablutions quotidiennes et aux us des aïds et autres. Tandis que la salle d’eau deviendrait hammam, espace de rencontre et de socialisation. Le voisinage prendrait une allure sereine et conforterait la relation paisible et civique qui caractérisait les cités de jadis. Car le bain public communautaire ne fait pas de distinction entre le riche et le pauvre. En le réhabilitant, le respect de l’environnement et le développement humain se conjuguent en un lieu chaud, rassurant, derrière l’écran opaque de la vapeur d’eau.

Selma Zerhouni

*Extrait de : Dictionnaire des symboles, Jean Chevalier et Alain Gheerbrant. 1982. Editions Robert Laffont et Editions Jupiter, Paris.

Sommaire

BIOGRAPHIE

ÉDITORIAL

Histoires de bain

COUP DE COEUR

La Gare de Ksar Sghir : intégrée et monumentale pour le sommaire Sarah Zaïd

CONCOURS

Concours Club des architectes de Marrakech

DÉBAT

Prélude à la douceur du hammam Abdelhaï Sijelmassi