AM N°35 Maisons d’architectes
Comment un architecte rêve-t-il de sa propre maison ? Sera-t-elle l’oeuvre de sa vie, une sorte de tombe à l’exemple des pyramides où une maison anodine où abriter son intimité dans la discrétion tranquille d’une vie de famille.
En allant à la recherche de ces maisons d’architectes nous voulions (dé)montrer à nos lecteurs l’inventivité poussée dans des recherches inédites qu’on n’oserait que pour soi-même. Nous cherchions l’expérimentation poétique d’espaces vécus qui aurait traqué l’introspection, les questions personnelles, allant jusqu’au fantasme. Or, nous avons découvert une réalité bien conventionnelle ! Il est indéniable que l’espace personnel des architectes est de belles proportions, d’une fonctionnalité irréprochable, avec un souci des finitions et des matériaux de qualité. Cependant, nulle excentricité, nul geste gratuit ne vient agrémenter cela. Il semble donc que ses exigences ne soient pas si éloignées de celles des profanes.
A moins que l’architecte se refuse sa part de rêve, de folie pour faire un pas de plus…
Effectivement, construire un toit pour son petit foyer n’est pas celui d’édifier l’oeuvre d’art de sa vie. On peut donc constater que le bon père de famille a pris le pas sur l’artiste. On se souvient de la maison si peu pratique de Zevaco dans laquelle l’agilité était nécessaire pour sauter le ruisseau dès l’entrée, où l’atelier emphatique d’Elie Azagury peu accommodant à l’intimité familiale. Pas étonnant que la maison de Zevaco acheté par un amoureux de l’art, puisse être inhabitable par une famille bourgeoise ordinaire ! Dommage qu’elle ait eu à subir de malheureuses défigurations pour faire ce constat. Quant à celle d’Azagury, il a fallu une architecte, Mounia Chaouni pour s’en arranger et continuer à célébrer l’espace. A l’état de rêve les idées du jeune Benkirane sur skeen,sa maison future envisagée comme sa seconde peau, reprennent le flambeau de l’audace. Ira-t-il jusqu’au bout ?
En tant qu’homme (ou femme) de l’art, l’architecte a forcément les moyens conceptuels et intellectuels de rêver dans un univers absolu. Mais l’accès au plaisir de sa réalisation est semé d’embûches. Sur le plan personnel, la vie de famille le contraigne à prélever du geste libre fantasmé, le « réalisable » pour ne pas se voir dénoncer pour un narcissisme coupable propre aux artistes. Sa conception se soumettra par ailleurs au contexte « Concevez toujours une chose en la considérant dans un contexte plus large – une chaise dans une pièce, une pièce dans une maison, une maison dans un quartier, un quartier dans une ville » conseillait Eliel Saarinen.
Et si la maison personnelle devait représenter dans l’absolu un mode de vie insolite, poussé dans les retranchements de besoins inédits, alors cet éternel inventeur, proposerait sûrement des situations inhabituelles qui peut-être deviendraient les habitudes de demain. Mais jusqu’où peut-il aller ? Rappelez-vous Jean-Pierre Raynaud, cet artiste conceptuel, qui, au fur et à mesure de l’édification de sa maison, l’a élevé en oeuvre spirituelle. A partir du carreau céramique blanc répété de façon obsessionnelle, sur toutes les surfaces, puis sur le mobilier, et au cours des années sur les fenêtres, il a érigé son oeuvre oubliant la présence de sa femme qui le quitta. En mars 1993, il détruisit l’oeuvre d’art qui était devenu son bunker, pour exposer ses débris et reconduire la mémoire de sa maison. Un drame qu’on ne souhaite à personne mais de l’art jusqu’au bout !
Selma Zerhouni
Sommaire
BIOGRAPHIE
ÉDITORIAL
Maisons d’architectes
COUP DE COEUR
Sultana Concept Oussama Benjelloun
CONCOURS
La Faculté polydisciplinaire de Taroudant
DÉBAT
Réinventer dès aujourd’hui le patrimoine de demain Ismail Akajni
Le sens des espaces dans les villes impériales Saïd Nassiri
Être moderne, qu’est-ce que cela signifie en architecture ? Valérie Moeyensoon
L’intimité de l’architecte : son édifice ! Hafsa Benmchich
Architecte pour soi, Narcisse ou Candide ? – Quand l’autre devient soi
«Skeen» une maison en seconde peau Youssef Benkiran
ARCHITECTURE
La maison de Zevaco – Un autoportrait ? Aziza Chaouni
Maison personnelle – Manifeste, miroir ou impasse? Anne Norman
Maison à vivre – Chakib Lahrichi Hanane Bouchtalla
Un legs entre architectes d’Elie Azagury à Mounia Chaouni Valérie Moeyensoon
Un hymne à la nature et au soleil – Youssef Hajhouj Nadia Jebrou
Plaisir et sobriété – Mourad Ben Embarek Nadia Jebrou
La maison du bonheur – Fikri Benabdellah Nadia Jebrou
Aménagement de la maison Mimosas – Anas Zerhouni Marwane Seddik
Entre ciel et mer – Mohamed Salem Bouaïda Hanane Bouchtalla
ÉTUDIANT
Maison de jeunesse – Concept et articulation
ART
Ilias Selfati vu par Tahar Ben Jelloun – La Fôret, suite (Paris) Tahar Ben Jellounn
PATRIMOINE
Hammam d’Aghmat – Les découvertes se poursuivent… Abdallah Fili
BREVES