L’Ordre des Architectes, Grand corps malade
Après un quart de siècle d’existence, l’instance ordinale est en passe de devenir un vieux monument, une construction délabrée menaçant ruine qu’il faut restaurer, réhabiliter. Mais avant toute chose, il est primordial aujourd’hui d’évacuer ses occupants pour leur sécurité et la sécurité des architectes dont c’est la maison. L’architecte Chebitou nous offre ici quelques pistes de réflexion.
Trêve de plaisanterie ! Sérieusement, qu’est-il arrivé à une instance aussi prestigieuse, qui a toujours été entourée de la sollicitude royale, notamment celle de feu Sa Majesté Hassan II ? En témoigne le mémorable discours de 1986 qui annonce la création, sous l’égide royale, de l’Ordre des Architectes. Qu’en est-il enfin des différentes promesses, qu’elles soient de l’administration ou de nos propres représentants, qui depuis presque 25 ans, tardent à se réaliser ?
Lors des débats concernant l’instance ordinale, son rôle, les défis qu’elle doit relever, le rendement de nos représentants, les commentaires sont sans appel : ordre défaillant, force de proposition nulle, représentativité très contestée…
Couvrir toute la problématique est un exercice difficile, néanmoins il est possible d’énoncer quelques éléments de réflexion sur ce que nous pouvons appeler le mal vivre de la profession.
Il nous semble intéressant de se détacher de ce qui se passe actuellement, même si c’est grave pour la survie de notre institution, et de faire une lecture à travers quelques dates événements de l’histoire de la profession.
– 1986 : discours fondateur de feu Sa Majesté Hassan II
– 2006 : discours de relance de la profession de Sa Majesté Mohamed VI
Sans démagogie aucune, nous pouvons affirmer que l’histoire retiendra 1986 comme l’An I de l’Architecture et de l’Architecte d’un point de vue institutionnel au Maroc avec :
– La création de l’Ordre des Architectes et des Conseils régionaux.
– La mise en place d’un cadre règlementant la profession par la loi 16/89, toujours en vigueur.
– La déclaration d’utilité publique de la profession d’architecte. Mais aussi :
– La répartition territoriale des architectes au niveau du Royaume.
– La mise en place du stage.
Au niveau de la formation continue et de la spécialisation, c’est à ce moment que les professionnels ont pu :
– Etoffer leurs études grâce à une formation continue dans des domaines tels que le paysage et l’environnement.
– Organiser des voyages d’étude pour s’inspirer de l’architecture régionale de toutes les contrées du territoire marocain.
De ce foisonnement d’idées, de chantiers ouverts, d’espoirs d’un avenir meilleur, nos représentants n’ont trouvé d’intéressant, et surtout d’urgent, que la protection du titre d’architecte et l’obligation de recourir à un architecte pour l’obtention d’un permis de construire.
Mais jamais au grand jamais, on n’a su ni voulu, par exemple, inscrire dans la loi la reconnaissance d’utilité publique de la profession d’architecte. Et c’est ainsi qu’on a raté le coche une première fois. Erreur de jeunesse, impossibilité de concilier les intérêts personnels et l’intérêt de la profession, on ne le saura jamais.
Vingt ans après, un certain 14 janvier 2006, où Sa Majesté le Roi Mohamed VI s’adresse aux participants de la Journée Nationale de l’Architecte, un discours qui vient rappeler l’importance du rôle de la profession dans la structuration de l’identité du peuple marocain et qui ouvre encore une fois d’important chantiers pour l’ordre sur trois niveaux institutionnel, organisationnel et de formation continue et spécialisation :
– Code de déontologie,
– Code de la construction,
– Code de passation des marchés publics,
– Recensement des constructions menaçant ruine et non réglementaires,
– Création du Prix Mohamed VI de l’Habitat social,
– Mise à niveau des structures de l’Ordre des Architectes,
– Encouragement à mettre en place des équipes pluridisciplinaires,
– Participation à la refonte du programme pédagogique de l’ENA,
– Adaptation par la formation et la formation continue aux spécificités sociales et culturelles de l’édification du pays et aux standards internationaux.
La question qui se pose maintenant est de savoir comment, avec toute la sollicitude royale dont a été entourée la profession, nous avons pu rater le coche avec l’histoire.
Pour mémoire, nous avons eu depuis sa création 11 présidents de l’Ordre des Architectes :
On a envie de dire, au vu de ce que nous vivons aujourd’hui, qu’on n’a fait que changer de noms à la tête de l’Ordre depuis 25 ans. Quelle manie ! Tous les mêmes, oui tous les mêmes, comme dirait Stromae dans sa leçon n° 24.
Pour terminer, je pose la question : dans un Maroc qui bouge et une mondialisation accrue, comment rouvrir ces chantiers délaissés par nos représentants et, surtout, comment relever les défis qui sont les nôtres ?
Aujourd’hui les enjeux sont clairs : devant un ministre qui fait dans la manipulation et la politique politicienne (conflit entre le PPS, parti du ministre, et le PAM, parti des responsables de l’ordre) et des représentants défaillants, jouant le jeu pourvu qu’ils préservent leurs intérêts personnels, c’est la profession qui est livrée à elle-même.
Pour dépasser ces blocages, deux points sont à mon avis très importants :
Premièrement, il est vital pour une profession qui se cherche, de se réunir en conclave le temps qu’il faudra pour élire une commission nationale de réconciliation dont la mission serait, dans une phase de transition, de préparer les outils juridiques nécessaires à la tenue de vraies élections des futurs membres de l’Ordre des Architectes. Futurs membres apolitiques et dévoués à cette profession, condition sine qua non pour un Ordre fort et surtout indépendant.
Deuxièmement, la question de la tutelle, très en vogue en ce moment, a été, à mon sens, complètement éludée dans le discours de Sa Majesté Mohamed VI.
Nous n’avons pas de tutelle, nous avons des partenaires, pour preuve cet extrait : « nous avons chargé à cet effet le département en charge du secteur, en coopération avec l’Ordre des Architectes, de prendre les mesures adéquates et de superviser et organiser ce prix… »
Abderrahmane Chebitou