Le chanvre, un or vert pour une construction environnementale

Francesca Maria Ricciulli
Architecte D.P.L.G. – Sustainability Senior Project Manager Business Unit Director at Cap Terre Maroc

Francesca Maria Ricciulli
Architecte D.P.L.G. – Sustainability Senior Project Manager Business Unit Director at Cap Terre Maroc
Réfléchir sur la culture ancestrale du chanvre n’est pour l’auteur ni une provocation ni une incongruité, mais une invitation à réfléchir à des solutions en vue de créer une passerelle entre croissance industrielle et valorisation de l’agriculture. L’emploi du chanvre comme matériau constructif écologique est en effet un levier pour assurer un développement équitable et durable et alléger l’impact de la facture énergétique.
U
n territoire en mouvement, en évolution, confronté à des enjeux capitaux pour un développement durable et soutenable économiquement, socialement et écologiquement.
Il faudra se poser les bonnes questions lors des futures planifications, imaginer des villes là où il y en a besoin et non là où seulement le prix bas du foncier les rendent possibles. Considérer les ressources des territoires et composer avec les atouts et les contraintes du site au lieu de se laisser séduire par des jolis desseins représentant des villes vues du ciel où personne n’a jamais imaginé arpenter les quartiers, s’intégrer, …vivre.
Comment associer des changements nécessaires au respect de la richesse culturelle et naturelle des sites préservés de la folie de l’urbanisation bétonnée, mais répondre aux désirs de modernité et de confort ? Comment trouver le bon équilibre entre développement urbain et rural, et échapper au conséquent exode qui concrètement se traduit par la formation de bidonvilles aux portes de ces nouveaux centres de richesse ? Comment faire évoluer les conditions de vie de ces populations sans les déraciner de leur histoire et de leurs traditions et intégrer aux projets urbains les problématiques sociales, environnementales et économiques du territoire et de la population qui y vit ?
Des questions qui ne doivent pas rester sans réponse et qui doivent mener les réflexions de la politique urbaine à la mise en cohérence entre les différentes échelles de la territorialité, pour que l’inéluctable urbanisation puisse représenter une réponse acceptable.
Tel est l’enjeu aujourd’hui auquel doit faire face cette nouvelle évolution : cette renaissance qui doit associer l’appartenance nationale à la réalité régionale particulièrement riche dans cette terre charnière au bord de la Méditerranée.
Le point de départ est sans doute la conception d’objectifs concertés et la mise en perspective des problèmes…
… « Un jour, perdue grâce à mon GPS dans l’arrière-pays près de Chefchaouen, je me suis retrouvée en plein milieu d’un champ de kif et, alors que les légendes urbaines auraient dû me terroriser, j’ai demandé la route à une femme qui faisait la cueillette… Elle m’a offert du thé et parlé de sa vie… »
Ainsi une amie commençait le récit de son dernier voyage dans le Nord.
Ainsi la boucle était fermée. Une richesse mal exploitée, un problème qui n’en est pas un.
Depuis fort longtemps le chanvre a montré ses innombrables propriétés et utilisations. Il s’agit d’une des premières plantes domestiquées par l’homme, probablement tout à la fois pour ses fibres solides, ses graines oléagineuses nourrissantes et les propriétés médicinales de sa résine. Plante bienfaitrice et maudite, elle a été victime au siècle dernier d’une véritable entreprise de diabolisation financée par les lobbys de l’industrie du coton, de la chimie (nylon et pétrole), et de la presse à cause des influences de l’industrie papetière (cellulose) et de ses importants intérêts forestiers. Elle connaît enfin une nouvelle ère de grâce dans des domaines aussi variés que la pharmaceutique, le textile, l’alimentation, les bio-carburants,… la construction.
Cet « or vert » peut aussi bien être transformé en huile alimentaire richissime en protéines et oméga 3, qu’en matériau de construction : isolant performant, aggloméré, briques, meubles, mortier, etc.
Les cultures de « cannabis indica » du Nord n’ont pas cette vocation, les terrains vallonnés, la taille très réduite des parcelles exploités ne rendent pas possible une exploitation industrielle à large échelle, de plus la variété de chanvre planté a une teneur en THC assez élevée ce qui le rend plus adapté à une utilisation dans l’industrie pharmaceutique.
Cependant, il est tout de même indiscutable que cette activité agricole, importante génératrice de ressources dans la région, n’est pas exploitée à sa juste valeur. Elle est réduite à la simple fabrication de produits « illégaux » sur lesquels on ferme hypocritement les yeux, alors qu’un plan régional de développement devrait intégrer une réflexion globale et apporter le soutien des collectivités territoriales. Une bonne gestion et l’utilisation de toutes les parties de la plante en font une culture dynamique et écologique d’avenir.
Des entrepreneurs privés sont certainement intéressés à exploiter cette filière si variée d’autant plus qu’il est possible aujourd’hui de planter du « cannabis sativa » avec une concentration de THC presque nulle.
Il peut se décliner en différents matériaux de construction : la laine de chanvre est utilisée pour l’isolation intérieure ou extérieure en panneaux souples ou semi-rigides, le béton-chanvre issu du mélange de la chènevotte (le bois de chanvre, c’est-à-dire la tige intérieure) et d’un liant à base de chaux peut être utilisé soit comme matériau de remplissage pour une structure poteaux poutres que comme doublage pour l’isolation. Il peut être projeté, banché, sous forme d’enduit ou de blocs préfabriqués et garantir la perspiration des murs et l’amélioration de la performance hygrothermique et acoustique.
Ces données sont fort encourageantes surtout si on les compare aux garde-fous de la Règlementation Thermique du Bâtiment au Maroc. Dans la RTBM la conductivité thermique la plus performante est demandée pour les zones climatiques Z4 (réf. Ifrane), Z5 (réf. Marrakech) et Z6 (réf. Errachidia) Elle ne dépasse pas un U≤0,49 W/m2.°C et elle est largement au-dessus pour le reste du territoire.
Certes, il nous reste à attendre que le décret d’application pour que le projet de RTBM présenté en 2011 devienne enfin une obligation réglementaire….
L’isolation en matériaux « biosourcés » n’est pas réservée à quelque auto-constructeur écolo, elle s’est désormais créé un marché industriel en Europe qui ne cesse de s’accroître. En France le nombre de chantiers (neuf et rénovation) mettant en œuvre du béton de chanvre est estimé à 3 500 par an avec une augmentation constante et il en est de même pour les surfaces cultivées et la production, qui atteint les 50 000 tonnes par an..
Le chanvre ne demande pas une culture intensive, au contraire ; semé en avril-mai après la récolte d’autres produits agricoles comme la betterave par exemple, il est récolté en septembre et laisse la place à d’autres cultures après avoir dépollué et nourrit le sol. Nombreux sont les experts internationaux à avoir reconnu que la culture du chanvre en tant que culture d’alternance, contribue à réduire l’incidence sur l’environnement et à remédier à l’appauvrissement des sols et à la désertification, conséquence de la monoculture et de l’exploitation inconsidérée des terres.
Alors que l’on se doit de trouver des solutions pour améliorer la qualité de vie, pour créer un pont entre la croissance industrielle et la valorisation de l’agriculture, pour garantir un développement équitable économiquement et socialement, une simple plante que l’on connaît depuis toujours pourrait nous apporter plus d’un élément de réponse.
Le Maroc se trouve aujourd’hui à un tournant important sur la voie politique de la prise en compte du développement durable et de l’impact de la facture énergétique sur sa croissance. Le chanvre fait partie du patrimoine naturel et culturel du pays et offre des possibilités incroyables d’exploitation.
J’ai hâte de construire le premier bâtiment en chanvre du Maroc. Pas vous ?
Francesca Maria Ricciulli