Architecture, entre conception manuelle et assistée
Par leur facilité d’usage, les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication fascinent, car elles simplifient un grand nombre de tâches. Comment cette transition entre le manuel et l’assistance par ordinateur se gère-t-elle aujourd’hui ? L’étudiante Sarah Boutata a ouvert l’enquête au sein de l’ENA.
À partir des années 1980, s’est opérée une rupture importante concernant les techniques de l’information et de la communication et l’Architecture n’y a pas échappé. Contrôler tant le contenu de l’information que sa forme fait désormais partie des impératifs.
Aujourd’hui, trois décennies après l’enclenchement de cette rupture, il est devenu indispensable d’avoir une maîtrise inédite de l’image. Or, les logiciels informatiques qui permettent cette nouvelle manière de représenter et de communiquer ne font pas l’unanimité sur tous les plans. Et ce, notamment lorsque leur usage se généralise et touche le processus de création et de fabrication des idées.

Illustration des nouvelles technologies de l’information et de la communication (extrait d’internet)
Effet de mode ou nouvelle pratique, nous, étudiants en architecture, faisons appel à des logiciels de Dessin Assisté par Ordinateur (DAO), tels que AutoCAD (Autodesk), de Conception Assistée par Ordinateur (CAO), tels que ArchiCAD (Graphisoft) et CATIA (Dassaults systèmes) ou encore d’Animation et de Modélisation 3D, tels que 3D Studio Max (Autodesk). Nos encadrants sont, eux, sceptiques face à ces nouvelles habitudes que nous prenons.
M. Reda TAZI, architecte et encadrant à l’ENA de Rabat raconte : « J’ai quitté l’école en 1992. Je me suis personnellement mis à la CAO en 1997. Malgré cela, je suis un enfant du crayon et je préfère esquisser à la main et je refuse de faire différemment. Or, je constate que parfois dès la première année, les jeunes étudiants conçoivent sur ordinateur. Vous n’avez pas développé une maîtrise du croquis. Un mauvais rendu tue un bon projet. Mais aujourd’hui avec les procédés informatiques accessibles à tous, un bon rendu sur papier peut aussi maquiller et valoriser un projet à piètre qualité architecturale. »
M. Amine RAIS, également architecte et encadrant à l’ENA, pense que «lorsqu’on est sur une table de dessin, on peut rectifier, passer une coupe et des lignes. L’outil informatique est intéressant pour les perspectives. Mais la base reste le passage par le crayon, non le clavier. L’outil informatique doit en revanche aider à enrichir les idées. Il ne faut pas qu’il facilite les choses mais qu’il aide à les développer».
Ceci étant, tous deux s’accordent sur le fait que l’outil informatique est une réalité qui prend sa place.
La tendance favorise de nos jours le partage de l’information et des idées. La toile regorge de sites web accessibles, exposant une infinité de projets d’architectes en provenance de différentes contrées du globe. En effet, faire des recherches en tout début de projet d’architecture est une étape primordiale, tandis que le fait de s’inspirer de projets à typologie identique à celui que l’on doit réaliser est discutable. Ainsi, avec la manière dont ces outils informatiques s’imposent, la tentation du plagiat et du copier-coller ne serait-elle pas facilitée voire encouragée, surtout en plein syndrome de la page blanche, connu dans le milieu?
Par ailleurs, qu’en est-il réellement sur le chantier ? Les logiciels de CAO mettent à notre disposition des « objets » (fenêtres, portes …) dors et déjà paramétrés qui font sauter l’étape de la réflexion sur ces éléments architecturaux, à ceux qui ne savent ou ne veulent pas les dompter.
Nous nous retrouvons alors parfois devant des « projets ArchiCAD » exécutés réellement après l’obtention du marché. Les bâtiments conçus du début jusqu’à la fin à l’aide des logiciels de CAO sont ainsi facilement reconnaissables par tout utilisateur. Pire encore, ils deviennent les témoins réels du manque d’innovation dont fait preuve l’architecte qui les a réalisés.
Ceci étant, il ne nous est pas possible de nier le fait que nous vivons dans l’ère l’informatique. Les images de synthèses sont demandées par toutes les catégories de clients et permettent aux profanes de comprendre le message du projet et d’éviter les surprises au chantier. Leur apport consiste aussi à rapprocher le client du projet dont il est le principal voire l’unique commanditaire.
Mais alors, face à l’intégration de l’outil informatique, réelle aujourd’hui, dans la pratique professionnelle des architectes, une question reste en suspens. Ce « prêt-à-construire » que permettent ces logiciels informatiques n’inhibe-t-il pas l’intelligence manuelle au profit d’une intelligence artificielle standardisée, et dénuée de sensibilité humaine ?
Boutata Sarah – Etudiante à l’ENA