Journées du patrimoine 2013
L’essor patrimonial et sa politique
Le rideau est tombé sur la 5ème édition des journées du patrimoine. Organisée du 05 au 07 avril, elle a attiré cette année près de 20 000 visiteurs, accueillis sur les 20 sites ouverts au public. Diverses personnalités publiques et privées impliquées en 2013, près de 5 000 participants aux activités parallèles, des partenaires culturels et des sponsors plus nombreux que par le passé démontrent la montée en puissance des Journées du patrimoine. La nouvelle participation des villes de Tétouan et d’El Jadida, bien décidées à s’arrimer à cette dynamique patrimoniale, ajoute au succès de l’évènement dont l’aura ne cesse de grandir. Pour autant, le pari patrimonial casablancais serait-il gagné ? La destruction continue et presqu’inexorable du patrimoine récent de la ville blanche est-elle aujourd’hui évitable ?
Encore une fois, l’évènement des Journées du patrimoine a tenu ses promesses. Un public nombreux composé de Casablancais de naissance, d’amoureux de la ville et de touristes de passage a répondu en force à l’appel de la ville blanche, trésor de notre patrimoine récent, qui a ouvert généreusement ses portes aux visiteurs. Cette année, pas moins de 3 400 élèves ont été accueillis sur les sites lors de la journée spéciale dédiée aux scolaires et ont pu faire tamponner leur passeport de citoyen junior. La preuve incontestable pour les organisateurs de l’atteinte de leurs objectifs, dont le volet pédagogique constitue le fer de lance et le gage de la pérennité de l’événement et de son développement futur. En cinq années d’existence et de présence active sur le terrain, le défi a été relevé. La réponse positive du public est de nature à rassurer sur son adhésion progressive aux valeurs touchant à la préservation, à la valorisation et à la transmission de son patrimoine. Ce beau tableau n’empêche pas cependant un certain malaise de subsister. Chez les militants de Casamémoire comme chez les experts ou les amis du patrimoine et de sa cause, le succès n’est qu’en demi-teinte. Des années de lutte acharnée, de veille permanente et de présence de l’association sur le terrain casablancais, aidée en cela par la société civile et les militants, n’ont pu empêcher la destruction de bâtiments à l’esthétique unique, dans des circonstances aussi sordides qu’affligeantes. Depuis plusieurs décennies déja, des édifices casablancais joyaux du XXème siècle, et témoins glorieux de leur époque, vivent une lente agonie. Par manque de moyens, par ignorance ou par imposture, ils sont victimes d’une dégradation continue, quand ils ne sont pas purement et simplement démolis. Entre imbroglios administratifs et appétits insatiables des spéculateurs, la gestion du patrimoine architectural casablancais et ses écueils suscite bien des inquiétudes. Comment expliquer notamment, qu’en dépit d’une sensibilisation grandissante des pouvoirs publics, des citoyens et des élus locaux à la cause patrimoniale, nous continuions à assister en toute impuissance, à la destruction de fleurons de notre architecture moderne, lors d’opérations qui défigurent tant l’urbanité de la ville que son histoire ? Quels sont les freins aujourd’hui à l’essor d’une véritable politique patrimoniale propre à la ville blanche ?
Jusqu’à présent, la loi 22-80 sur la protection du patrimoine a révélé ses limites. La multiplication des démarches et des procédures destinées à empêcher la démolition de bâtiments et de sites à valeur historique ne permet pas d’agir avec célérité. L’absence de transparence dans les processus décisionnels, voire leur dédoublement conduit à une hérésie. Le cas de l’immeuble Piot-Templier, inscrit à la liste des monuments historiques en 2011 et détruit la même année par décision du tribunal administratif en est l’exemple le plus frappant. Pour l’association Casamémoire, active sur le terrain casablancais depuis près de 20 ans, l’unique outil actuel de protection du patrimoine qui consiste à inscrire des « monuments » ou des édifices un à un, n’est pas adapté. La lourdeur de cette procédure et son étalement dans le temps offrent peu de visibilité dans les étapes parcourues et multiplie ainsi les risques de blocages et de ratages éventuels. Pour y pallier, l’association milite activement pour l’adoption d’une procédure d’inscription par zone, voire par région. Le montage du dossier d’inscription de Casablanca au patrimoine mondial de l’Unesco entamé depuis plus de deux ans, n’est qu’une des manières envisagées pour faire face à ce constat inquiétant. Autre écueil à éviter, l’inscription systématique des bâtiments sans aucun accompagnement administratif, financier ou technique. Ce cas de figure aboutit presqu’inévitablement à la « mise à mort » de l’édifice par son propriétaire. Se sentant pénalisé voire dépossédé de son bien suite à l’inscription, ce dernier n’a souvent d’autre choix que d’abandonner le bâtiment à son triste sort. Voire dans certains cas, d’aider la nature à faire son œuvre…

Conférence inaugurale des Journées du patrimoine 2013, en présence de Nabil Benabdellah, ministre de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la politique de la Ville et de Mohamed Amine Sbihi, ministre de la Culture.
Lors des conférences et débats qui ont jalonné les journées du patrimoine 2013, de nombreuses idées ont vu le jour et tentent d’apporter des éléments de réponse aux menaces qui pèsent lourdement sur le patrimoine casablancais. La conférence inaugurale sur le thème : « Quelles stratégies pour le patrimoine ? », qui s’est déroulée en présence de Nabil Benabdellah, ministre de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la politique de la ville et de Mohamed Amine Sbihi, ministre de la Culture, ainsi que de nombreux experts a été l’occasion d’annoncer la création nouvelle de l’Agence Nationale pour l’Habitat menaçant ruine. Cette entité autonome dédiée au patrimoine a pour but d’assurer la prévention et la coordination des interventions au niveau national pour la mise en application de plans de sauvegarde des tissus urbains anciens, spécialement ceux menaçant ruine. Parmi les moyens évoqués lors des journées du patrimoine se trouvent également l’application de dispositifs d’incitations fiscales ou de fonds d’aide à la rénovation publics/privés afin d’encourager les propriétaires à effectuer des travaux de restauration ou de réhabilitation au profit de leurs bâtiments. L’assistance technique à l’habitant dans ses travaux de restauration constitue également un excellent moyen d’accompagnement et de contrôle de leur qualité et de leur adéquation avec les cahiers de charge préétablis. Enfin, le volet promotionnel mériterait d’être développé, puisque toute opération de valorisation ou de requalification du patrimoine est susceptible à terme d’augmenter considérablement son attrait auprès des investisseurs, qu’ils soient nationaux ou étrangers. Rendant ainsi probables sa préservation et sa réhabilitation futures.
Toutes ces mesures ne pourraient visiblement à elles seules suffire sans la ratification d’une véritable loi, efficace et appropriée, ou la révision de celle en vigueur. Aux côtés de l’accompagnement et de l’aide au financement, des sanctions et autres dispositifs de coercition devraient être prévus pour ôter aux réfractaires toute velléité de récidive.
Casablanca est à la reconquête de son identité et de la place qui lui revient de droit au palmarès des métropoles attractives modernes. Dans son élan généreux, la ville blanche répond immanquablement à l’appel de ceux qui font le choix d’en faire leur refuge et leur terre d’accueil. Qu’ils soient ou pas nés sous son ciel. Pour nous montrer dignes de l’offrande, cessons la dilapidation de son patrimoine et de ses richesses. Préservons l’âme de la ville. Restituons son élan vital.
Nadia Chabâa